Les Vertus de Marie

(Saint Alphonse-Marie de Liguori)


 
  Introduction
 
  Humilité
 
  Amour pour Dieu
 
  Charité envers le prochain
 
  Foi
 
  Espérance
 
  Chasteté
 
  Pauvreté
 
  Obéissance
 
  Patience
 
  Esprit de prière et d'oraison
 

 

Introduction

Lorsque les saints nous voient pratiquer les vertus qu'ils ont pratiquées eux-mêmes, ils sont portés davantage à prier pour nous. Si donc nous voulons nous assurer de leur part une protection plus sûre et plus abondante, efforçons-nous d'imiter leurs vertus. C'est le conseil de saint Augustin. Marie est la reine des saints et notre première avocate. Aussi, dès qu'elle a délivré une âme des griffes de Satan et qu'elle l'a unie à Dieu, elle veut que cette âme s'applique à l'imiter. Autrement elle ne pourrait, comme elle le voudrait, enrichir des grâces du ciel une âme dont la conduite est opposée à la sienne. C'est pourquoi elle proclame bienheureux ceux qui ont à coeur d'imiter sa vie. " Mes enfants, nous dit-elle, écoutez-moi : bienheureux ceux qui marchent sur mes pas " (Pr 8,32). L'amour, dit le proverbe, trouve la ressemblance, ou la produit. Celui qui aime, s'il n'est pas déjà semblable à la personne aimée, cherche à le devenir. " O vous donc, nous dit saint Jérôme, qui aimez et honorez Marie, sachez-le bien, c'est en vous efforçant de l'imiter que vous l'aimerez vraiment, et le plus bel hommage que vous puissiez lui offrir, c'est l'imitation de ses vertus ". Richard de Saint-Laurent a donc raison d'affirmer que ceux-là seulement ont le droit de s'appeler et sont en réalité enfants de la divine Mère qui imitent sa vie. Et saint Bernard de conclure : " Que l'enfant de Marie s'applique à l'imiter, s'il veut obtenir ses faveurs. C'est en le voyant l'honorer comme sa mère, que Marie le traitera et le favorisera comme son enfant ".

A la vérité, les évangélistes nous donnent peu de détails sur les vertus de la sainte Vierge. Mais en l'appelant pleine de grâce, ils nous font assez entendre qu'elle eut toutes les vertus, et toutes à un degré héroïque. " Les autres saints, enseigne le Docteur angélique, ont excellé chacun dans une vertu particulière. Celui-ci a brillé par son humilité, celui-là par son obéissance, un autre par sa charité. Mais la bienheureuse Vierge a excellé dans toutes les vertus à la fois, et elle s'offre à nous comme le modèle achevé de toutes les vertus ". Saint Ambroise avait dit avant lui : " La vie de la sainte Vierge fut si parfaite, qu'elle renferme à elle seule la règle de toutes les vies ". Et il ajoute : " Que la vie de Marie soit donc devant vos yeux comme un tableau où resplendit la perfection de la vertu. Elle vous offre l'exemple à suivre en toute votre conduite. Vous y apprenez ce que vous devez corriger, ce que vous devez faire, ce à quoi il faut vous attacher ".

Et puisque l'humilité, selon la doctrine des saints Pères, est le fondement de toutes les vertus, voyons en premier lieu combien fut grande l'humilité de Marie.

 

Humilité de Marie

" L'humilité est le fondement et la gardienne des vertus ". C'est saint Bernard qui parle ainsi, et certes avec raison. Sans l'humilité, en effet, aucune autre vertu ne peut exister. Qu'une âme les possède toutes, toutes s'évanouiront si elle perd l'humilité. Au contraire, écrivait saint François de Sales à sainte Jeanne de Chantal, " Dieu aime tant l'humilité, qu'il accourt aussitôt où il l'aperçoit ". Cette vertu, si belle et si nécessaire, était inconnue au monde, mais le Fils de Dieu est descendu sur la terre, pour l'enseigner par son exemple. Et c'est spécialement en cela qu'il nous invite à l'imiter. " Apprenez de moi, nous dit-il, que je suis doux et humble de coeur " (Mt 11,29). La très sainte Vierge fut la première et la plus excellente disciple de Jésus-Christ, aussi fut-elle la plus parfaite imitatrice de son humilité, et c'est par cette vertu qu'elle mérita d'être exaltée au-dessus de toutes les créatures. Sainte Mechtilde lui ayant un jour demandé quelle avait été la première vertu à laquelle elle s'était exercée dès son enfance, Marie répondit : Ce fut l'humilité.

Le premier acte de l'humilité de coeur, c'est d'avoir une basse opinion de soi-même. Or, la sainte Vierge eut toujours de si bas sentiments d'elle-même, que, tout en se voyant plus comblée de grâce que tous les hommes et tous les anges, elle ne se préféra jamais à personne. " Dès mon enfance, disait-elle à sainte Mechtilde, je fus d'une telle humilité que jamais je ne me suis mise au-dessus d'aucune créature ". Expliquant ce passage du Cantique des Cantiques : " Vous avez blessé mon coeur, ma soeur, mon épouse ; vous avez blessé mon coeur par un seul de vos cheveux " (Ct 4,9 Vulg.), l'abbé Rupert pense que, par ce cheveu, il faut entendre l'humble idée que Marie avait d'elle-même, et par laquelle elle blessa le coeur de Dieu, car, dit-il, qu'y a-t-il de plus mince qu'un cheveu ? Ce n'est pas cependant que la bienheureuse Vierge se crût une pécheresse, car l'humilité est vérité, dit sainte Thérèse et Marie savait bien qu'elle n'avait jamais offensé le bon Dieu. Ce n'est pas non plus qu'elle refusât de reconnaître que Dieu lui avait accordé plus de grâces qu'à toutes les autres créatures, car un coeur humble sait reconnaître les faveurs spéciales de Dieu, afin de s'en humilier davantage. A la lumière plus grande qui lui découvrait l'infinie grandeur et bonté de Dieu, elle voyait plus clairement aussi sa propre petitesse. C'est pourquoi, plus qu'aucune autre créature, elle s'humiliait, disant avec l'Épouse sacrée : " Ne considérez pas que je suis hâlée et noircie ; le soleil m'a décolorée " (Ct 1,6). C'est-à-dire, selon l'explication de saint Bernard : " Quand je regarde le Seigneur, il me semble, en comparaison de sa splendeur, que je suis toute noire ". C'est que, remarque saint Bernardin de Sienne, " la sainte Vierge avait toujours devant les yeux d'un côté la majesté de Dieu, de l'autre son propre néant ". Imaginez une mendiante qui paraît devant son bienfaiteur revêtue d'une robe magnifique que celui-ci lui a donnée en aumône. Bien loin d'en tirer vanité, elle s'en humilie d'autant plus que cette robe lui rappelle sa pauvreté. Ainsi plus Marie se voyait comblée de grâces, plus elle s'humiliait, se rappelant que tout en elle était don de Dieu. " Sois certaine, disait-elle à sainte Elisabeth, que je me regardais comme la plus vile des créatures et la plus indigne des bontés de Dieu ". En un mot, conclut saint Bernardin, " de même que personne, après Jésus, ne s'est élevé aussi haut que Marie sur les sommets de la grâce, de même personne n'est descendu aussi profondément dans les abîmes de l'humilité ".

Un autre acte d'humilité consiste à cacher les dons célestes. C'est ainsi que Marie ne voulut pas révéler à saint Joseph qu'elle était devenue la Mère de Dieu. Et cependant ne semblait-il pas nécessaire de l'en instruire, soit pour prévenir les soupçons que son époux pourrait concevoir, soit tout au moins pour le tirer de la perplexité où il se trouvait ? Saint Joseph, en effet, ne pouvant pas douter de la pureté de la sainte Vierge, mais ignorant du mystère, " se proposait de la renvoyer secrètement " (Mt 1,19). Et, de fait, si l'Ange n'était pas venu lui apprendre qu'elle avait conçu du Saint-Esprit, Joseph se fût séparé de Marie.

C'est encore un acte d'humilité que de repousser les louanges et de les rapporter toutes à Dieu. Aussi voyez le trouble où la salutation élogieuse de l'archange Gabriel jette la sainte Vierge ! Et lorsque sainte Elisabeth lui dit : " Vous êtes bénie entre toutes les femmes. D'où me vient ce bonheur que la Mère de mon Dieu vienne jusqu'à moi ? Bienheureuse êtes-vous d'avoir cru " (Lc 1). Que fait Marie ? Rapportant toutes ces louanges à Dieu, elle répond par ce cantique d'humilité : " Mon âme glorifie le Seigneur ". C'est comme si elle disait : Elisabeth, vous me louez, mais moi je glorifie le Seigneur à qui est due toute gloire. Vous admirez que je sois venue à vous, mais moi j'admire la bonté de Dieu : " mon âme a tressailli d'allégresse en Dieu mon Sauveur ". Vous me louez d'avoir cru, mais moi je loue mon Dieu, parce qu'il lui a plu d'exalter mon néant, et " parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante " (Lc 1,46-48). C'est ce que devait dire plus tard Marie à sainte Brigitte : " Pourquoi me suis-je tant humiliée, et pourquoi ai-je mérité une grâce si sublime ? C'est parce que je savais et que sans cesse je pensais que par moi-même je n'étais rien et ne possédais rien. Aussi repoussant toute louange, je ne voulus que la gloire de mon bienfaiteur et de mon créateur ". Méditant cette vertu de Marie, saint Augustin s'écrie : " O humilité, humilité bienheureuse, qui donna Dieu aux hommes, ouvrit le paradis et délivra les âmes de l'enfer ".

Disons de plus que le propre des humbles, c'est de se plaire à servir les autres. Aussi la sainte Vierge s'empressa-t-elle de se rendre auprès de sa cousine Elisabeth pour la servir pendant trois mois. Elisabeth s'étonna que Marie fût venue la visiter. " Ah ! dit saint Bernard, qu'elle s'étonne plutôt que la Mère de Dieu soit venue, non pour être servie, mais pour servir ".

En outre, les personnes humbles se tiennent volontiers à l'écart et choisissent la dernière place. C'est pourquoi Marie, désirant un jour s'entretenir avec Jésus qui prêchait dans une maison (Mt 12), ne voulut pas, même en vertu de son autorité de mère, remarque saint Bernard, interrompre le discours de son Fils, ni pénétrer dans la demeure où il parlait. C'est pourquoi encore, retirée au Cénacle avec les apôtres, elle se mit à la dernière place. " Tous, écrit saint Luc, persévéraient unanimement dans la prière, avec les femmes et avec Marie, Mère de Jésus " (Ac 1,14). L'écrivain sacré connaissait bien le mérite de la divine Mère ; il aurait donc dû la nommer en premier lieu. Mais, dit un interprète, Marie s'étant placée après les apôtres et les saintes femmes, saint Luc énumère les personnes présentes selon la place que chacune occupait. " Celle qui était la première s'est faite la dernière, dit à ce propos saint Bernard, c'est donc à bon droit qu'elle est devenue la toute première ".

Enfin l'humilité fait aimer les mépris. On ne lit pas que Marie se soit montrée à Jérusalem le jour des Rameaux, alors que le peuple recevait son Fils avec tant d'honneurs. Par contre, quand Jésus va mourir, elle ne craint pas de paraître sur le Calvaire en présence de tout le monde, afin d'être reconnue pour la mère de Celui qui, condamné comme infâme, mourait de la mort des infâmes, et de partager son déshonneur. Elle a dit à sainte Brigitte : " Qu'y a-t-il de plus humiliant que d'être traitée d'insensée, de manquer de tout et de se croire la plus indigne des créatures ? Eh bien ! ma fille, telle fut mon humilité, telle fut ma joie et telle ma volonté, parce que je n'avais d'autre pensée que de plaire à mon Fils et seulement à mon Fils ".

Il fut donné à la vénérable Paule de Foligno, dans une extase, de comprendre combien fut grande l'humilité de la sainte Vierge. Comme elle en rendait compte à son confesseur, elle s'écria toute hors d'elle-même : " L'humilité de Marie ! Ah ! mon père, l'humilité de Marie ! il n'y a pas d'humilité dans le monde, pas même le plus petit degré, en comparaison de l'humilité de Marie ". Un jour Notre-Seigneur fit voir à sainte Brigitte deux dames, dont l'une n'était qu'ostentation et vanité. " Celle-ci, lui dit-il, représente l'orgueil ; et cette autre que tu vois au maintien si modeste, prête à obliger tout le monde, qui n'a que Dieu en vue et se regarde comme un néant, c'est l'humilité, et elle s'appelle Marie ". Ainsi Jésus voulait nous faire comprendre que sa bienheureuse Mère était si humble, qu'elle était l'humilité même.

Il est vrai que pour notre nature corrompue par le péché, il n'y a peut-être pas, assure saint Grégoire de Nysse, une vertu plus difficile à pratiquer que l'humilité. Mais il faut en prendre notre parti, si nous ne sommes pas humbles, jamais nous ne serons enfants de Marie. " Si vous ne pouvez pas imiter la virginité de l'humble Marie, dit saint Bernard, imitez du moins l'humilité de la Vierge ". Les orgueilleux lui sont en horreur, et elle n'appelle à elle que les âmes humbles : " Si quelqu'un est petit, qu'il vienne à moi " (Pr 9,4). " C'est précisément sous le manteau de son humilité qu'elle nous protège ", affirme Richard de Saint-Laurent. Marie elle-même d'ailleurs a pris soin de le faire entendre en disant à sainte Brigitte : " Viens, ma fille, et cache-toi sous mon manteau ; ce manteau, c'est mon humilité ". Puis, après avoir fait remarquer que la considération de son humilité est un excellent manteau qui réchauffe bien les âmes, elle ajouta : " Un manteau ne réchauffe pas, si on ne le porte pas ; ainsi pour tirer avantage de mon humilité, il faut qu'on la porte, non seulement dans ses pensées, mais encore dans ses oeuvres ". " Par conséquent, ma fille, dit-elle en terminant, revêts-toi de mon humilité ". Oh ! que les âmes humbles sont chères à la sainte Vierge ! Sans doute, elle reconnaît et elle aime ceux qui ont de l'amour pour elle. Sans doute encore, elle accourt à la voix de tous ceux qui l'invoquent. Mais, dit saint Bernard, " ses prédilections et ses faveurs vont surtout à ceux qui lui ressemblent en chasteté et en humilité ". " Si donc, conclut le saint Docteur, vous aimez Marie, efforcez-vous de devenir humbles comme elle ". Le P. Martin Alberro, de la Compagnie de Jésus, avait l'habitude de balayer le couvent par amour pour Marie. La sainte Vierge lui apparut un jour, rapporte le P. Niéremberg, et en le remerciant, elle lui dit : " Qu'elle m'est précieuse cette action si humble que tu accomplis par amour pour moi " !

Ainsi donc, ô ma Reine, je ne pourrai jamais être votre enfant, si je ne suis pas humble. Mais ne voyez-vous pas que mes péchés, après m'avoir rendu ingrat envers mon Dieu, ont fait de moi un orgueilleux ? Ah ! ma Mère, c'est à vous de remédier à ce désordre. Par les mérites de votre humilité, obtenez que je sois humble, et qu'ainsi je devienne votre enfant. Ainsi soit-il.

 

Amour de Marie pour Dieu

" Là où la pureté est plus grande, là est un plus grand amour ". C'est le mot du bienheureux Albert le Grand. Plus un coeur est pur et vide de lui-même, plus il sera rempli d'amour pour Dieu. Or Marie était toute humble, toute vide d'elle-même, elle fut donc toute remplie du divin amour, au point, affirme saint Bernardin, de surpasser l'amour de tous les hommes et de tous les anges ensemble. Aussi saint François de Sales l'appelle-t-il avec raison la reine de l'amour.

Le Seigneur nous a donné ce commandement : " Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur " (Mt 22,37). " Mais ce commandement, dit saint Thomas, les hommes ne l'accompliront entièrement et parfaitement que dans le ciel ; ici-bas, on l'accomplit, mais d'une manière imparfaite ". Or, il eût été peu digne de Dieu d'imposer un précepte que personne n'aurait parfaitement observé. Il a donc dû être pleinement accompli par quelqu'un, et ce fut par la sainte Vierge. Tel est le raisonnement du bienheureux Albert le Grand et Richard de Saint-Victor le confirme en ces termes : " Parfaite et consommée en toutes sortes de vertus nous apparaît la Mère de notre Emmanuel. Qui jamais observa comme elle ce premier commandement : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur ? L'amour divin l'enflamma tellement que la plus légère imperfection ne put jamais pénétrer dans sa vie ". D'après saint Bernard, " l'amour de Jésus entra comme un glaive dans le coeur de Marie et le transperça d'outre en outre, afin qu'aucun pli ni repli ne resta sans blessure. Ainsi aima-t-elle de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces, ainsi se trouva-t-elle pleine de grâce ". Elle pouvait donc dire en toute vérité : " Mon bien-aimé est tout à moi, et moi aussi je suis toute à lui " (Ct 2,16). " Ah ! s'écrie encore Richard, les séraphins eux-mêmes auraient bien pu descendre du ciel pour apprendre dans le coeur de Marie comment on aime le bon Dieu " !

" Dieu est amour " (1 Jn 4,8), dit saint Jean, et il est venu sur la terre pour allumer dans tous les coeurs le feu du divin amour. Mais aucun coeur ne s'en embrasa comme le coeur de la sainte Vierge. Entièrement exempt de toute affection terrestre, il était tout disposé à brûler de ces heureuses flammes. Voici comment s'en exprime saint Jérôme : " Le divin amour avait embrasé Marie tout entière. Rien au monde ne pouvait altérer son ardeur, il n'y avait en elle que les élans continuels et les enivrements de l'amour divin ". Le coeur de Marie devint donc feu et flamme, comme nous le lisons dans le Cantique des Cantiques : " Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes " (Ct 8,6 Vulg.). Il devint feu, explique saint Anselme, à cause de l'amour qui le brûlait intérieurement, et il devint flamme en resplendissant au dehors par l'exercice des vertus. Quand donc la divine Mère portait Jésus dans ses bras, on pouvait bien dire que " c'était le feu portant le feu " et cela avec beaucoup plus de raison qu'Hippocrate le disait, dans un autre sens, d'une femme qui portait du feu dans ses mains. Oui, dit saint Ildephonse, " comme le feu pénètre le fer, le Saint-Esprit avait embrasé Marie tout entière. En elle, on ne voyait que la flamme, on ne sentait que l'ardeur du divin amour ". C'est pourquoi, selon saint Thomas de Villeneuve, le coeur de la Vierge fut figuré par le buisson que vit Moïse, et qui brûlait sans se consumer. Et selon saint Bernard, c'est à juste titre que Marie est représentée avec le soleil pour vêtement : " Un grand prodige parut dans le ciel, une femme revêtue du soleil " (Ap 12,1), parce qu'elle a pénétré dans l'abîme de la divine Sagesse plus avant qu'on ne peut l'imaginer, et qu'elle est, autant que cela est possible à une pure créature, plongée dans cette lumière inaccessible.

Et voici la conclusion qu'en tire saint Bernardin : " De même qu'un grand feu tient les mouches à distance, ainsi l'amour divin qui embrasait le coeur de Marie chassait au loin les puissances infernales. Jamais la sainte Vierge ne fut tentée par l'enfer qui n'osait même pas l'approcher ". Richard de Saint-Victor dit également : " Marie se rendit redoutable aux princes des ténèbres, qui n'osaient ni la tenter, ni l'approcher ; le feu de son amour les frappait de terreur ". La divine Mère a révélé à sainte Brigitte qu'elle n'eut jamais en ce monde d'autre pensée, d'autre désir, d'autre joie que Dieu. Aussi son âme bénie étant toujours occupée à contempler Dieu, innombrables furent les actes d'amour qu'elle produisait, ces actes se succédant sans cesse les uns aux autres. C'est l'enseignement de Suarez. Mais j'aime mieux dire, avec Bernardin de Bustis, que Marie, au lieu de répéter les actes d'amour, comme font les autres saints, avait l'heureux privilège d'aimer Dieu actuellement sans interruption, par un acte unique et continu. Semblable à l'aigle royal, elle tenait toujours les yeux fixés sur le divin Soleil, " en sorte, dit saint Pierre Damien, que ses occupations n'empêchaient pas les élans de son amour, et que l'amour ne l'empêchait pas de se livrer au travail ". C'est pourquoi, dit saint Germain, nous avons encore une figure de Marie dans l'autel de propitiation sur lequel le feu ne s'éteignait pas ni jour ni nuit.

Le sommeil lui-même n'empêchait pas la sainte Vierge d'aimer Dieu actuellement. Si ce privilège fut accordé à nos premiers parents dans l'état d'innocence, comme l'assure saint Augustin, quand il dit que " leur sommeil et leurs songes valaient bien nos veilles et nos oeuvres ", on ne peut certainement pas le refuser à la Mère de Dieu. Suarez, l'abbé Rupert, saint Bernardin de Sienne le lui accordent avec saint Ambroise qui a dit de la bienheureuse Vierge : " Pendant que son corps reposait, son âme veillait ". Ainsi se vérifiait en elle la parole du Sage : " Sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit " (Pr 31,18).

Oui, dit saint Bernardin, pendant que son très saint corps goûtait dans un léger sommeil le repos réclamé par la nature, son âme s'élevait librement vers Dieu et sa contemplation était alors bien supérieure à celle de n'importe quel saint recueilli en présence du Seigneur. " Je dors, pouvait-elle dire avec l'Epouse des Cantiques, et mon coeur veille " (Ct 5,2). " Qu'elle dormît ou qu'elle veillât, assure Suarez, elle jouissait toujours de la même béatitude ". " En un mot, reprend saint Bernardin, pendant tout le cours de sa vie, la divine Mère ne ralentit pas un instant l'ardeur de son amour ". Et il ajoute : " Eclairée par la Sagesse d'en haut, elle n'a jamais fait que ce qu'elle voyait être agréable à Dieu ; elle a aimé Dieu autant qu'elle l'estimait digne de son amour ". Il est donc permis de conclure avec le bienheureux Albert le Grand, que la Mère du Sauveur fut remplie d'une telle charité qu'il ne semble pas possible à une pure créature de l'être davantage. " Nous croyons, dit-il, sauf meilleur avis, qu'au moment où elle conçut le Fils de Dieu, la sainte Vierge reçut en son âme la plus parfaite et la plus abondante effusion de charité dont une pure créature soit capable dans ce lieu d'exil ". " C'est par son ardente charité, ajoute saint Thomas de Villeneuve, que Marie devint si belle aux yeux du Seigneur, qu'épris d'amour pour elle, il descendit du ciel et se fit homme dans son sein ". " O charité, vertu admirable de la Vierge Mère, s'écrie saint Bernardin, par elle une jeune fille a blessé et ravi le coeur de Dieu même " !

Mais si Marie aime tant son Dieu, ce qu'elle demande par-dessus tout à ses fidèles serviteurs, c'est certainement d'aimer Dieu de tout leur pouvoir. Apparaissant à la bienheureuse Angèle de Foligno, un jour où celle-ci avait communié : " Angèle, lui dit-elle, sois bénie de mon Fils, et efforce-toi de l'aimer autant que tu le peux ". Et à sainte Brigitte, elle disait : " Si tu veux lier amitié avec moi, aime mon Fils ". Le plus vif désir de Marie est donc de nous voir aimer Dieu, l'objet de son amour. Sur ces paroles du Cantique des Cantiques : " Je vous conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, annoncez-lui que je languis d'amour " (Ct 5,8), Novarin se demande pourquoi la sainte Vierge priait ainsi les anges de dire à son Seigneur quel grand amour elle lui portait. Dieu ne savait-il pas combien eile l'aimait ? Et pourquoi montrer au bien-aimé la blessure que lui-même a faite ? " Ce n'est pas à Dieu, répond Novarin, mais à nous que Marie veut faire connaître son amour, afin de nous communiquer sa propre blessure ". " Et comme elle est tout embrasée d'amour pour Dieu, ajoute saint Bonaventure, elle enflamme et rend semblables à elle tous ceux qui l'aiment et qui l'approchent ". Aussi est-elle appelée par sainte Catherine de Sienne, porte-feu, portatrix ignis, celle qui porte le feu de l'amour divin. Si donc nous voulons, nous aussi, brûler de ces bienheureuses flammes, ayons soin de nous approcher de Marie par nos prières et par les affections de notre coeur.

" O Reine d'amour, vous dirai-je avec saint François de Sales, ô vous la plus aimable, la plus aimante et la plus aimée de toutes les créatures ", vous avez toujours été toute brûlante d'amour pour Dieu. Ah ! daignez me donner au moins une étincelle de ce feu divin. Vous avez prié votre Fils pour les époux de Cana, en lui disant : " Ils n'ont pas de vin " (Jn 2,3), et vous ne prieriez pas pour nous qui n'avons pas d'amour pour Dieu et qui sommes tant obligés de l'aimer ? Dites-lui donc : " Ils n'ont pas d'amour ". Obtenez-nous cet amour, nous ne vous demandons pas d'autre grâce. O Mère, au nom de l'amour que vous portez à Jésus, exaucez-nous, priez pour nous. Ainsi soit-il.

 

Charité de Marie envers le prochain

" Nous avons, dit saint Jean, ce commandement de Dieu : que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère " (1 Jn 4,21). Ainsi l'amour de Dieu et la charité envers le prochain nous sont imposés par un seul et même commandement. La raison en est, dit saint Thomas, que si on aime Dieu, on aime tout ce que Dieu aime. Sainte Catherine de Gênes disait un jour à Dieu : " Seigneur, vous voulez que j'aime mon prochain, et moi, je ne puis aimer que vous seul ". Et le Seigneur de lui répondre : " Celui qui m'aime aime tout ce qui est aimé de moi ". Aussi, comme il n'y a jamais eu et qu'il n'y aura jamais personne qui surpasse Marie en amour pour Dieu, de même, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais personne qui la surpasse en charité envers le prochain.

Pendant sa vie sur la terre, Marie était si débordante de charité qu'elle secourait les nécessiteux sans en être sollicitée. C'est ce qu'elle fit aux noces de Cana. Le vin étant venu à manquer, elle expose à son Fils l'affliction de cette famille et lui demande un miracle. " Ils n'ont plus de vin " (Jn 2,3), lui dit-elle. Oh ! quel empressement elle montrait, dès qu'il s'agissait d'aider le prochain ! Elle se rend en toute hâte, par le pays des montagnes, chez sa cousine Elisabeth (Lc 1,39). Pourquoi en toute hâte ? Parce qu'elle avait un ministère de charité à y remplir. Mais la preuve la plus grande qu'elle nous a donnée de sa charité, ce fut d'offrir son Fils à la mort pour notre salut. " Marie a tellement aimé le monde, dit saint Bonaventure, qu'elle a livré son Fils unique ". " O femme bénie entre toutes les femmes, s'écrie saint Anselme, vous surpassez les anges en pureté et tous les saints en bonté ". Et maintenant qu'elle est au ciel, a-t-elle perdu quelque chose de sa charité à notre égard ? Ecoutons la réponse de saint Bonaventure: " Bien grande était la miséricorde de Marie envers les miséreux, pendant qu'elle vivait dans cette vallée de larmes, mais combien plus grande est-elle encore, maintenant qu'elle règne dans le ciel, parce qu'elle connaît mieux les misères des hommes ". L'Ange le disait à sainte Brigitte : " Personne ne prie Marie sans éprouver les doux effets de sa charité ". Ah ! que nous serions à plaindre, si les prières de Marie venaient à nous faire défaut ! Jésus l'a dit à la même Sainte : " Sans l'intercession de ma Mère, en vain espérerait-on grâce et miséricorde ".

" Heureux, nous dit cette bonne Mère, celui qui écoute mes enseignements, qui veille tous les jours auprès de ma porte et se tient en observation à l'entrée de ma demeure " (Pr 8,34), pour considérer ma charité, afin de l'exercer envers les autres en suivant mes exemples. Selon saint Grégoire de Nazianze, rien n'est de nature à nous concilier la bienveillance de Marie comme la charité envers le prochain. Jésus nous a dit : " Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux " (Lc 6,36), et Marie nous dit à son tour : " Soyez miséricordieux comme votre Mère est miséricordieuse ". Il est certain que la charité dont nous aurons usé envers le prochain sera la mesure dont Notre-Seigneur et Notre-Dame useront envers nous. C'est l'enseignement de l'Evangile : " Donnez et l'on vous donnera ; on usera envers vous de la mesure dont vous aurez usé envers les autres " (Lc 6,38). " Donnez au pauvre, disait saint Jean Chrysostome, et recevez le paradis ". Saint Paul nous le donne à entendre quand il dit que " la piété est utile à tout, ayant les promesses de la vie présente et de la vie à venir " (1 Tm 4,8). L'Esprit-Saint nous assure d'ailleurs que " celui qui exerce la miséricorde envers le pauvre, prête à Dieu " (Pr 19,17). Or, prêter à Dieu, remarque sur ce texte, saint Jean Chrysostome, c'est rendre Dieu son débiteur.

O Reine de miséricorde, puisque vous êtes pleine de charité envers tout le monde, n'oubliez pas mes misères. Vous les connaissez bien, ô ma Mère. Recommandez-moi à ce Dieu qui ne vous refuse rien. Voici la grâce que je vous prie de m'obtenir : que je puisse vous imiter dans la pratique de la divine charité, et envers Dieu, et envers mon prochain. Ainsi soit-il.

 

Foi de Marie

Mère de l'amour et de l'espérance, la sainte Vierge est aussi la mère de la foi. " Je suis, dit-elle, la mère du bel amour, et de la crainte, et de la science, et de la sainte espérance " (Si 24,24 Vulg.). C'est à juste titre que Marie est appelée la mère de la foi, car " elle a réparé par sa foi le mal qu'Eve avait causé par son incrédulité ". Ainsi parle saint Irénée, et Tertullien lui fait écho. " Eve, dit-il, en préférant à la parole de Dieu la parole du serpent, introduisit la mort dans le monde ; mais notre Reine nous rendit la vie, en croyant, sur la parole de l'Ange, qu'elle deviendrait Mère de Dieu sans cesser d'être vierge. Ainsi ce que la crédulité d'Eve avait détruit, la foi de Marie l'a rétabli ". " Oui, dit saint Augustin, Marie, en donnant son adhésion à la parole de l'Ange, a ouvert par sa foi le paradis aux hommes ". Et Richard de Saint-Laurent, expliquant ce texte de saint Paul : " Le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle " (1 Co 7,14), s'écrie : " Cette femme fidèle, c'est Marie, dont la foi a sauvé l'homme infidèle, c'est-à-dire Adam et toute sa postérité ". Aussi est-ce à cause de sa foi qu'elle fut proclamée bienheureuse par Elisabeth : " Bienheureuse vous qui avez cru, car ce qui vous a été annoncé de la part de Dieu s'accomplira " (Lc 1,45). Et saint Augustin affirme que " Marie fut plus heureuse d'avoir reçu Jésus-Christ dans son esprit par la foi, que de l'avoir reçu dans son sein par l'Incarnation ".

Suarez enseigne que la sainte Vierge eut, à elle seule, plus de foi que tous les hommes et tous les anges ensemble. Elle voyait son Fils dans l'étable de Bethléem, et elle croyait qu'il était le Créateur du monde. Elle le voyait fuir devant Hérode, et elle croyait qu'il était le Roi des rois. Elle le vit naître, et elle croyait qu'il était éternel. Elle le vit pauvre, manquant du nécessaire, et elle le crut souverain Maître de toutes choses. Elle le vit couché sur la paille, et elle crut qu'il était le Tout-Puissant. Elle observa qu'il ne parlait point, et elle crut qu'il était la Sagesse infinie. Elle l'entendait gémir, et elle croyait qu'il était la joie du paradis. Elle le vit enfin mourir crucifié, rassasié d'opprobres, et tandis qu'autour d'elle, la foi vacillait dans tous les coeurs, elle persévéra dans la ferme croyance qu'il était Dieu. " Près de la croix de Jésus, sa Mère se tenait debout " (Jn 19,25). " Marie était debout, dit saint Antonin, élevée et soutenue par sa foi en la divinité du Christ, et attendant sans crainte sa prochaine résurrection ". C'est pour cela, ajoute-t-il, que dans l'office des Ténèbres, on ne laisse à la fin qu'un cierge allumé. Saint Léon, parlant aussi de cette foi inébranlable de Marie, lui applique ce mot de l'Ecriture : " Sa lampe ne s'éteindra pas dans la nuit " (Pr 31,18). Et sur les paroles d'Isaïe où le Sauveur se plaint de ne voir aucun homme avec lui dans sa Passion : " J'ai foulé le pressoir, et parmi les nations, il ne se trouve aucun homme avec moi " (Is 63,3), saint Thomas observe qu'il est dit " aucun homme ", à cause de la bienheureuse Vierge dont la foi ne fut jamais ébranlée. " Ce fut alors, au contraire, s'écrie Albert le Grand, que la foi de Marie s'éleva au degré le plus sublime. Les disciples sombrèrent dans le doute, seule la sainte Vierge demeura ferme dans la foi ".

C'est par cette foi éminente que Marie a mérité d'être la lumière de tous les fidèles. Ainsi l'appellent saint Méthode, quand il dit qu'elle est " le flambeau des chrétiens ", et saint Cyrille d'Alexandrie, quand il la proclame " le sceptre de la foi orthodoxe ". La sainte Eglise elle-même attribue au mérite de la foi de Marie la défaite de toutes les hérésies. " Réjouissez-vous, ô Vierge sainte, lui dit-elle, vous seule avez exterminé toutes les hérésies dans le monde entier ". Aussi saint Thomas de Villeneuve, expliquant ces paroles de l'Epoux divin à son Epouse bien-aimée : " Vous avez blessé mon coeur par un regard de vos yeux " (Ct 4,9), dit que par ces yeux il faut entendre la foi de Marie, car c'est par cette vertu qu'elle se rendit souverainement agréable à Dieu.

Ecoutons ici l'exhortation que nous adresse saint Ildephonse : " Je vous en prie, ô mes enfants, imitez le parfait modèle de votre foi, la bienheureuse Vierge Marie ". Mais comment nous y prendre pour imiter la foi de notre divine Mère ? La foi est tout ensemble un don et une vertu. Elle est un don de Dieu, en tant qu'elle est une lumière que lui-même répand dans l'âme. Elle est une vertu en tant que l'âme la met en pratique. La foi doit donc nous servir de règle, non seulement pour croire, mais encore pour agir, Aussi saint Grégoire disait-il : " Celui-là croit vraiment qui met ce qu'il croit en oeuvre dans sa vie " et saint Augustin : " Vous dites : Je crois, credo, eh bien ! faites ce que vous dites, et alors vous avez la foi ". La foi vive consiste précisément en cela : vivre conformément à notre croyance, selon le mot de saint Paul : " Mon juste vit de la foi " (He 10,38). Et c'est ainsi que vécut la sainte Vierge, à la différence de ceux qui ne vivent pas selon ce qu'ils croient, et dont la foi est morte, comme le dit saint Jacques : " La foi sans les oeuvres est morte " (Jc 2,26).

Diogène allait partout cherchant un homme. " Je cherche un homme ", disait-il. Ne semble-t-il pas que Dieu pourrait dire : Je cherche un chrétien ? Parmi les chrétiens répandus dans le monde, qu'ils sont peu nombreux ceux qui en font les oeuvres ! La plupart, hélas ! n'ont que le nom de chrétien. A ceux-là on devrait dire ce que disait Alexandre le Grand à un soldat poltron qui s'appelait aussi Alexandre : " Change de nom, ou change de conduite ". Le vénérable Jean d'Avila est pour eux plus sévère, il estime qu'on devrait les enfermer dans un asile d'aliénés. N'est-ce pas, en effet, dit-il, être fou que de croire à une éternité de bonheur ou de supplice, suivant qu'on aura bien ou mal vécu, et de vivre ensuite comme si on n'y croyait pas ? Suivons le conseil de saint Augustin, qui nous exhorte à regarder toutes choses avec des yeux chrétiens. " Ayez des yeux chrétiens ", nous dit-il, c'est-à-dire des yeux qui envisagent tout à la lumière de la foi. " Tous les péchés viennent d'un manque de foi ", disait sainte Thérèse. Prions donc la sainte Vierge, afin que, par les mérites de sa foi, elle nous obtienne une foi vive. Disons-lui : " O Notre-Dame, augmentez en nous la foi " (cf. Lc 17,5).

 

Espérance de Marie

L'espérance naît de la foi. Si Dieu, par les lumières de la foi, nous fait connaître sa bonté et ses promesses, c'est afin que, par l'espérance, nous nous élevions au désir de le posséder lui-même. C'est parce que la foi de la sainte Vierge fut éminente, qu'éminente aussi fut son espérance. C'est l'espérance qui lui faisait dire avec David : " Tout mon bonheur est de m'attacher à Dieu et de mettre en lui ma confiance " (Ps 72,28). Marie était cette fidèle épouse de l'Esprit-Saint, dont il est dit dans le Cantique sacré : " Quelle est celle qui monte du désert, comblée de délices, appuyée sur son bien-aimé ? " (Ct 8,5). Elle monta du désert, explique le pieux Algrin, parce qu'elle fut entièrement détachée du monde qui était pour elle un désert ; appuyée sur son bien-aimé, parce que n'ayant mis sa confiance ni dans les créatures, ni dans ses propres mérites, elle ne s'appuya que sur la divine grâce et ne comptait que sur le secours du ciel pour avancer sans cesse dans l'amour de Dieu.

La bienheureuse Vierge montra combien grande était sa confiance en Dieu, d'abord quand elle s'aperçut du trouble où sa miraculeuse maternité avait jeté Joseph, son saint époux. Celui-ci, ignorant le divin mystère, avait résolu de le renvoyer secrètement. Il semblait donc bien nécessaire de la lui révéler. " Mais non, dit Corneille de la Pierre, Marie ne voulut pas prendre sur elle de manifester la grâce sans exemple qu'elle avait reçue, par crainte de paraître s'en prévaloir. Elle aima mieux s'abandonner à la divine Providence, pleinement assurée que Dieu prendrait soin de défendre son innocence et son honneur ". Sa confiance en Dieu éclata encore quand, sur le point de mettre au monde son divin Fils, elle se vit exclue même de l'hôtellerie des pauvres et contrainte de se réfugier dans une étable. " Elle coucha l'Enfant dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie " (Lc 2,7). Elle ne laissa pas échapper la moindre plainte, mais s'abandonnant entièrement à Dieu, elle espéra fermement qu'il lui donnerait en certe épreuve le secours opportun. Une autre circonstance dans laquelle la sainte Vierge manifesta la grandeur de sa confiance en Dieu, ce fut la fuite en Egypte. Avertie par saint Joseph qu'il faut s'enfuir, elle entreprend cette nuit-là même ce long voyage, pour se rendre dans un pays étranger et inconnu, sans provisions, sans argent, sans autre compagnie que celle de Jésus, son petit enfant, et de son pauvre époux. Mais la plus grande preuve de sa confiance, Marie nous l'a donnée aux noces de Cana. Elle demande à son Fils un miracle en faveur des jeunes époux. Ils n'ont plus de vin, lui dit-elle. Et Jésus lui répond : " Femme, qu'importe à moi et à vous ? Mon heure n'est pas encore venue " (Jn 2,4). Il semblait donc que sa demande était nettement repoussée. Et cependant, après certe réponse, Marie, pleine de confiance en la bonté divine, et assurée que son Fils lui accordait la grâce sollicitée, dit aux serviteurs : " Faites ce qu'il vous dira ". Et Jésus leur dit de remplir d'eau les urnes, et il changea cette eau en vin.

Apprenons de la sainte Vierge à pratiquer véritablement la confiance, principalement en ce qui concerne notre salut éternel. Assurément, à cette grande affaire, il faut apporter notre coopération. Néanmoins, nous devons espérer de Dieu seul les grâces nécessaires pour y réussir. Défions-nous entièrement de nos propres forces, et disons avec l'Apôtre : " Je puis tout en Celui qui me fortifie " (Ph 4,13).

O Marie, ma très sainte Reine, l'Ecclésiastique m'assure que vous êtes la Mère de l'Espérance, et l'Eglise que vous êtes l'Espérance même. Salut, vous dit-elle, ô notre Espérance ! Quelle autre espérance irai-je donc chercher ? Vous êtes, après Jésus, toute mon espérance. Saint Bernard vous appelait tout le fondement de son espérance, ainsi je veux moi-même vous appeler. Toujours je vous dirai avec saint Bonaventure : " O salut de ceux qui vous invoquent, sauvez-moi " !

 

Chasteté de Marie

Depuis que les sens, par suite du péché d'Adam, sont en état de révolte contre la raison, la chasteté est pour les hommes la vertu la plus difficile. " De tous les combats, dit saint Augustin, les plus durs sont ceux de la chasteté ; la lutte est de tous les jours, et rare est la victoire ". Mais loué soit à jamais notre Dieu qui nous a donné en Marie le modèle parfait de cette vertu ! Vierge des vierges ! Ainsi appelons-nous Marie, et certes avec raison, dit le bienheureux Albert le Grand, " parce que la première, sans le conseil et l'exemple de personne, elle a offert sa virginité au Seigneur, lui donnant ainsi toutes les vierges qu'elle a entraînées dans cette voie angélique ". Déjà David l'avait prédit : que de vierges seront amenées après elle dans le temple du Roi ! (Ps 44,15-16). Mais qui donc, s'écrie saint Bernard, en la voyant embrasser la virginité sans le conseil ni l'exemple de personne, " qui donc, ô Marie, vous a appris combien la virginité plaît au Seigneur et comment on mène sur la terre la vie des anges du ciel " ? Ah ! répond saint Sophrone, " c'est le Fils de Dieu qui voulait se choisir pour Mère cette Vierge très pure, afin d'en faire pour tous un modèle de chasteté ". Aussi saint Ambroise appelle-t-il Marie le porte-étendard de la virginité.

Si l'Esprit-Saint proclame Marie belle comme la tourterelle : " Vos joues, lui dit-il, sont belles comme les joues de la tourterelle " (Ct 1,9 Vulg.), c'est, dit Aponius, à cause de sa pureté. L'Esprit-Saint compare encore Marie au lis entre les épines : " Comme le lis entre les épines, ainsi est celle que j'aime entre les filles de Sion " (Ct 2,2). " C'est, observe Denis le Chartreux, parce que toutes les autres vierges furent des épines ou pour elle-même ou pour autrui, tandis que la bienheureuse Vierge ne fut une épine, ni pour elle-même, ni pour personne. Au contraire, son aspect seul inspirait à tous des pensées et des désirs de pureté ". Saint Thomas enseigne pareillement que " la beauté de Marie animait tous ceux qui la contemplaient à l'amour et à la pratique de la vertu ". Et saint Jérôme pense que si saint Joseph demeura vierge, il le dut à la compagnie de Marie. Voici comment il apostrophe l'hérétique Helvidius qui niait la virginité de Marie : " Tu dis que Marie ne resta pas vierge, eh bien ! moi je soutiens que Joseph lui-même fut vierge grâce à Marie ". Tel était l'amour de Marie pour la virginité que, pour la conserver, elle était prête à renoncer même à la dignité de Mère de Dieu. C'est le sentiment de saint Grégoire de Nysse, et cela ressort clairement de la question qu'elle posa à l'Ange : " Comment cela peut-il se faire, puisque je ne connais point d'homme ? " (Lc 1,34) et de sa réponse définitive : " Qu'il me soit fait selon votre parole " (Lc 1,38). Marie faisait entendre qu'elle ne donnait son consentement qu'après avoir reçu l'assurance de devenir Mère de Dieu par la seule opération du Saint-Esprit.

" Celui qui garde la chasteté est un ange ; celui qui la perd est un démon ". Ainsi parle saint Ambroise, et Notre-Seigneur avait déjà déclaré que les chastes deviennent des anges (Mt 22,30). Par contre, les impudiques deviennent odieux à Dieu comme les démons. Saint Remy affirmait que la plupart des adultes se damnent à cause du péché impur.

Rare est la victoire sur ce vice, avons-nous dit plus haut avec saint Augustin. Mais pourquoi est-elle si rare ? Parce qu'on ne prend pas les moyens de triompher. Ces moyens sont au nombre de trois, enseignent, avec Bellarmin, les maîtres de la vie spirituelle : le jeûne, la fuite des occasions, la prière. Par le jeûne, il faut entendre la mortification et en particulier celle de la bouche. La sainte Vierge était toute remplie de la divine grâce et cependant elle gardait si bien la modestie des yeux, qu'elle les tenait constamment baissés, sans jamais les fixer sur personne, comme nous l'apprennent saint Epiphane et saint Jean Damascène. Ils ajoutent que déjà dans son enfance, elle faisait par sa modestie l'admiration de tout le monde. Aussi saint Luc note-t-il que lorsqu'elle se rendit auprès de sa cousine Elisabeth, ce fut " en grande hâte ". Pourquoi, sinon pour moins paraître en public. En ce qui concerne la nourriture, Philibert rapporte une révélation faite à un pieux ermite, nommé Félix, d'après laquelle Marie enfant ne prenait le lait qu'une fois par jour. Tout le reste de sa vie, affirme saint Grégoire de Tours, ne fut qu'on long jeûne qu'elle n'interrompit jamais. " Jamais, d'ailleurs, assure saint Bonaventure, Marie n'aurait reçu une telle plénitude de grâces, si elle n'avait pas été mortifiée sous ce rapport, car la grâce et la gourmandise ne vont pas ensemble ". En un mot, la mortification de Marie fut si entière, que l'Esprit-Saint lui fait dire : " Mes mains ont distillé la myrrhe " (Ct 5,5).

Le second moyen, c'est la fuite des occasions. " Qui évite les pièges se met en sûreté " (Pr 11,15 Vulg.), dit la sainte Ecriture. Dans cette guerre, se plaisait à répéter saint Philippe Néri, la victoire est aux poltrons, c'est-à-dire à ceux qui fuient les occasions de chute. Marie évitait autant que possible la vue des hommes. C'est pourquoi, dans la visite qu'elle fit à sainte Elisabeth, " elle alla, comme le note saint Luc, en toute hâte ". Et un auteur fait observer que la sainte Vierge partit de chez Elisabeth avant la naissance de saint Jean-Baptiste, comme, du reste, l'Evangile le donne assez à entendre : " Marie demeura chez Elisabeth environ trois mois et elle s'en retourna ensuite dans sa maison. Cependant le temps d'enfanter pour Elisabeth s'accomplit et elle mit au monde un fils " (Lc 1,56-57). Pourquoi n'attendit-elle pas la naissance du Précurseur ? Pour éviter les visites et les conversations qui devaient avoir lieu à cette occasion dans la maison de Zacharie.

Le troisième moyen, c'est la prière. " Comme je savais, dit le Sage, que je ne pouvais être continent, si Dieu ne me donnait de l'être, je recourus à lui, et je le suppliai " (Sg 8,21 Vulg.). La bienheureuse Vierge révéla elle-même à sainte Elisabeth qu'elle n'eut aucune vertu sans beaucoup de travail et sans une oraison continuelle. " Marie qui est toute pure, aime la pureté ", dit saint Jean Damascène. Aussi ne peut-elle souffrir les impudiques. Mais celui qui a recours à elle, ne fût-ce qu'en prononçant son nom avec confiance, sera certainement délivré du vice impur. Le vénérable Jean d'Avila affirmait que beaucoup de personnes tentées contre la belle vertu ont triomphé par une simple aspiration affectueuse à Marie Immaculée.

O Marie, ô pure et virginale colombe, que d'âmes gémissent en enfer, à cause du vice impur. Daignez nous en préserver, ô Notre-Dame ! Faites que dans les tentations, nous ayons toujours recours à vous et que nous vous invoquions, en disant : Marie, Marie, venez à notre secours. Ainsi soit-il.

 

Pauvreté de Marie

Notre très aimant Rédempteur, pour nous apprendre à mépriser les biens de ce monde, a voulu vivre sur la terre dans la pauvreté. " Il était riche, dit saint Paul, et il s'est fait pauvre, afin que vous soyez riches par son indigence " (2 Co 8,9). Et à ceux qu'il appelait à le suivre, Jésus disait : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. Puis, viens et suis-moi " (Mt 19,21).

La plus parfaite disciple de Jésus, c'est la sainte Vierge Marie. Aussi a-t-elle admirablement suivi son exemple dans la pratique de la pauvreté. Canisius établit que la sainte Vierge aurait pu vivre fort à l'aise, avec l'héritage reçu de ses parents, mais elle choisit d'être pauvre sur la terre. C'est pourquoi, après avoir prélevé sur ses biens une petite part, elle distribua tout le reste en aumône au Temple et aux indigents. Beaucoup d'auteurs pensent même qu'elle fit le voeu de pauvreté, et l'on sait que dans une révélation faite à sainte Brigitte, elle lui dit : " Dès le commencement, je fis dans mon coeur le voeu de ne rien posséder dans ce monde ". Ce ne furent certainement pas des présents de peu de valeur que ceux des Mages, mais tous passèrent des mains de Marie dans les mains des pauvres. Ainsi l'atteste saint Antonin, après saint Bernard : " De tout l'or offert par les Mages, et qui fut considérable, comme il convenait à leur dignité royale, Marie ne se réserva rien, mais elle chargea Joseph de tout distribuer aux pauvres ". Que la divine Mère se soit défaite aussitôt des présents des Mages, on n'en peut douter quand on la voit se rendre au Temple, non pas avec un agneau, qui était l'offrande prescrite par le Lévitique pour les personnes aisées, mais avec deux tourterelles ou deux petits de colombe, qui étaient l'offrande des pauvres. " Ils vinrent, dit saint Luc, pour offrir l'hostie, selon ce qui est prescrit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits de colombes " (Lc 2,24). " Tout ce que j'ai pu posséder, disait Marie à sainte Brigitte, je l'ai donné aux pauvres, et je ne me suis jamais réservé que le nécessaire pour me nourrir et me vêtir modestement ".

Par amour de la pauvreté, Marie ne dédaigna pas d'épouser saint Joseph, quoiqu'il ne fut qu'un simple ouvrier, et de vivre ensuite péniblement du travail de ses mains, en filant et en cousant, comme l'atteste saint Bonaventure. Enfin, après avoir vécu pauvre, la sainte Vierge mourut pauvre, puisqu'en mourant, on ne sache pas qu'elle ait pu léguer autre chose que deux pauvres vêtements à deux pieuses femmes qui l'avaient assistée pendant sa vie, comme le rapportent Métaphraste et Nicéphore.

" Celui qui aime les richesses, disait saint Philippe Néri, ne se fera jamais saint ". Et il est juste, ajoutait sainte Thérèse, que celui qui court après les choses périssables, périsse avec elles. Par contre, disait la même sainte, la vertu de pauvreté est un bien qui renferme tous les biens. Je dis avec sainte Thérèse, la vertu de pauvreté, laquelle ne consiste pas seulement à être pauvre, mais à aimer la pauvreté. Saint Bernard écrivait à un évêque : " Ce n'est pas la pauvreté qui fait la vertu, mais l'amour de la pauvreté ". Aussi Notre-Seigneur a-t-il dit : " Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux " (Mt 5,3). Oui, bienheureux, parce que ne voulant pas d'autre bien que Dieu, ils trouvent en Dieu tous les biens. Ils trouvent le paradis sur la terre, à l'exemple de saint François qui s'écriait : " Deus meus et omnia " ! Mon Dieu et mon tout ! Aimons donc cet unique bien en qui sont tous les biens. C'est saint Augustin qui nous y exhorte, et disons avec saint Ignace : " Seigneur, donnez-moi seulement votre amour, avec votre grâce, et je suis assez riche ". Et quand la pauvreté nous fait sentir ses épines, consolons-nous en pensant que notre Sauveur et notre divine Mère ont été pauvres comme nous. " Quelle source de consolations pour le pauvre, disait saint Bonaventure, que la pauvreté de Marie et la pauvreté de Jésus " !

O Marie, ma très sainte Mère, vous avez bien raison de dire dans votre sublime cantique : " Mon esprit a tressailli d'allégresse en Dieu, mon Sauveur " (Lc 1,47). Dieu était votre unique joie, parce que vous ne désiriez et n'aimiez d'autre bien en ce monde que Dieu seul. Ah ! ma Souveraine, " trahe me post te " (Ct 1,4), tirez-moi après vous ! Oui, détachez-moi du monde, et tirez-moi après vous pour me faire aimer Celui qui seul mérite d'être aimé. Ainsi soit-il !

 

Obéissance de Marie

La sainte Vierge était tellement attachée à la vertu d'obéissance, que, lorsque l'archange Gabriel lui annonça qu'elle était choisie pour devenir la Mère de Dieu, elle ne voulut se donner d'autre titre que celui de servante. " Je suis, dit-elle, la servante du Seigneur ". " O vraie et fidèle servante, s'écrie saint Thomas de Villeneuve, qui jamais dans aucune parole, dans aucune action, dans aucune pensée, n'a fait opposition au Très-Haut, et qui, dépouillée de toute volonté propre, vécut toujours et en tout, soumise à la divine volonté " ! Elle-même déclare qu'elle doit à son obéissance d'avoir ravi le coeur de Dieu : " Il a regardé, dit-elle, l'humilité de sa servante " (Lc 1,48), car l'humilité d'une servante consiste à être toujours prête à obéir. Et saint Augustin attribue à l'obéissance de Marie la réparation du mal causé par la désobéissance d'Eve. " De même, dit-il, qu'Eve en désobéissant, est devenue pour elle-même et pour tout le genre humain une cause de mort, ainsi c'est en obéissant que Marie devint pour elle et pour tous les hommes la cause du salut ". L'obéissance de Marie fut beaucoup plus parfaite que celle de tous les autres saints. Enclins au mal par suite du péché originel, les hommes éprouvent toujours quelque difficulté à faire le bien, mais il n'en fut pas de même de la sainte Vierge. Exempte de la faute originelle, elle ne ressentait aucune résistance dans l'exercice des vertus. " Comme une roue libre, dit saint Bernardin de Sienne, elle cédait à toutes les impulsions du Saint-Esprit ". " Son unique soin, ajoute-t-il ailleurs, était de tenir les yeux fixés sur le bon plaisir de Dieu et de s'y conformer avec toute la ferveur de son âme ". Aussi c'est à bon droit qu'on lui applique cette parole du Cantique sacré : " Mon âme s'est liquéfiée à la voix de mon bien-aimé " (Ct 5,6). " En effet, dit Richard de Saint-Laurent, l'âme bénie de la sainte Vierge, devenue par l'action d'un immense incendie d'amour, comme un métal en fusion, était toujours prête à couler dans le moule de la divine volonté pour en épouser toutes les formes ".

Marie nous a bien montré dans sa conduite la perfection de son obéissance. Nous la voyons se soumettre, pour plaire à Dieu, à l'ordre de l'empereur romain et parcourir la distance de quatre-vingt-dix milles qui sépare Nazareth de Bethléem, étant enceinte et si pauvre que le Fils de Dieu dût naître dans une étable. Quelle parfaite obéissance encore quand, avertie par saint Joseph au milieu de la nuit, elle se mit aussitôt en route pour l'Egypte, voyage bien plus long et plus fatigant. Silveyra se demande pourquoi l'Ange transmet l'ordre de fuir à saint Joseph, et non pas à Marie, pour qui cependant le voyage devait être plus pénible ? " C'est, répond-il, pour ne pas priver la sainte Vierge d'une belle occasion de faire un acte de la vertu si chère à son coeur, un acte d'obéissance ". Mais l'héroïsme de son obéissance éclata par-dessus tout lorsque, pour obéir à Dieu, elle offrit son Jésus en sacrifice. Saint Ildephonse affirme qu'elle offrit ce sacrifice avec une telle grandeur d'âme, qu'à défaut des bourreaux, elle était prête à immoler son Fils de ses propres mains. Lorsque la femme de l'Evangile s'écria : " Heureux le sein qui vous a porté " ! Jésus répondit : " Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent " (Lc 11,27-28). Marie fut donc plus heureuse d'avoir obéi à Dieu que d'être devenue Mère de Dieu. " Oui, s'écrie le vénérable Bède, commentant cette parole du Sauveur, Marie fut heureuse d'avoir été l'instrument choisi par le Verbe pour se faire homme, mais combien plus heureuse encore a-t-elle été de le garder toujours dans son coeur par un amour éternellement fidèle ".

Elles sont donc très agréables à la sainte Vierge les âmes qui aiment l'obéissance. Elle apparut un jour à un religieux franciscain, nommé Accorso, qui priait dans sa cellule. Mais celui-ci, appelé en ce moment-là même auprès d'un malade, partit aussitôt à la voix de l'obéissance. A son retour, il retrouva Marie qui l'attendait et qui le loua beaucoup de sa fidélité à obéir. Par contre, elle reprit fortement un autre religieux qui, après le signal donné pour se rendre au réfectoire, s'attardait dans sa cellule pour achever ses dévotions.

S'entretenant avec sainte Brigitte de la sécurité qu'on trouve à obéir à son directeur de conscience, " c'est l'obéissance, lui dit-elle, qui conduit à la gloire tous les élus ". Saint Philippe Néri assurait que Dieu ne nous demandera pas compte des choses faites par obéissance, puisque lui-même a dit aux supérieurs chargés de nous instruire et de nous diriger : " Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise " (Lc 10,16). Enfin, nous savons par une révélation faite encore à sainte Brigitte que c'est à cause de son obéissance que Marie a obtenu que le pardon serait accordé à tous les pécheurs, si lourdement chargés soient-ils, qui recourent à elle avec le repentir dans le coeur.

O notre Reine et notre Mère, priez Jésus pour nous. Par le mérite de votre obéissance, obtenez-nous d'obéir fidèlement à sa volonté sainte et aux ordres de nos pères spirituels. Ainsi soit-il.

 

Patience de Marie

On appelle cette terre une vallée de larmes, parce qu'elle est un lieu de mérite. Nous y sommes placés pour souffrir, afin de mériter, par la patience, de sauver nos âmes dans la vie éternelle, selon la parole du Seigneur : " Par votre patience, vous sauverez vos âmes " (Lc 21,19). Et Dieu nous a donné, en la sainte Vierge Marie, le modèle de toutes les vertus, mais particulièrement de la vertu de patience. Parlant des noces de Cana, saint François de Sales remarque, entre autres choses, que si Jésus-Christ par ces paroles : " O femme, qu'importe à moi et à vous ? " semble faire peu de cas des prières de sa Mère, ce fut à dessein, pour qu'elle nous donnât un exemple de patience. Mais pourquoi chercher des faits, quand toute la vie de Marie ne fut qu'un constant exercice de patience ? L'Ange le disait à sainte Brigitte : " Comme la rose croît entre les épines, ainsi la très sainte Vierge grandit ici-bas parmi les tribulations ". La compassion qu'elle éprouva des souffrances du Rédempteur, dès l'instant où elle devint sa Mère, suffit à faire de Marie une martyre de patience. Aussi saint Bernardin de Sienne l'appelle-t-il " la Mère crucifiée du divin crucifié ". Que ne souffrit-elle pas ensuite dans son voyage et son séjour en Egypte, et durant tout le temps qu'elle vécut avec son Fils dans la pauvre maison de Nazareth, comme nous l'avons vu plus haut en méditant ses douleurs ? Sa présence sur le Calvaire, auprès de Jésus expirant sur la croix, nous fait assez comprendre combien grande et sublime fut la patience de la sainte Vierge. " Ce fut précisément alors, dit Albert le Grand, que par les mérites de sa patience, elle devint notre Mère, en nous enfantant à la vie de la grâce ".

Si donc nous désirons être les enfants de Marie, il faut nous efforcer d'imiter sa patience. " Et qu'y a-t-il, s'écrie saint Cyprien, qui puisse mieux nous enrichir de mérites sur la terre et de gloire dans le ciel que les peines de cette vie patiemment supportées " ? " J'entourerai ton chemin d'une haie d'épines " (Os 2,8), dit le Seigneur par le prophète Osée. En fait, constate saint Grégoire, " les sentiers des élus passent à travers les épines ". Pour protéger une vigne, on l'entoure d'une haie d'épines, ainsi Dieu entoure ses serviteurs de tribulations, afin qu'ils ne s'attachent pas à la terre. " La patience nous garde donc ", conclut saint Cyprien, c'est elle qui nous préserve du péché et de l'enfer. C'est elle aussi qui fait les saints. Saint Jacques l'affirme : " La patience rend notre vie parfaite " (Jc 1,4), en nous faisant supporter en paix les croix qui nous viennent directement de Dieu, comme les maladies, la pauvreté, et celles qui nous viennent des hommes, comme les injures, les persécutions. Saint Jean vit tous les saints du ciel porter la palme, symbole de la victoire : " J'ai vu une grande foule... et ils tenaient en mains des palmes " (Ap 7,9). Il nous apprend ainsi que tous les adultes, pour être sauvés, doivent être martyrs, martyrs du sang, ou martyrs de patience. " Réjouissons-nous donc, s'écrie saint Grégoire, nous pouvons être martyrs sans tomber sous le fer des bourreaux, en gardant la patience ", " en souffrant volontiers et avec joie ", ajoute saint Bernard. Oh ! quels trésors nous vaudra dans le ciel toute peine supportée pour Dieu ! C'est saint Paul qui nous le dit pour nous encourager : " Les tribulations de cette vie qui sont courtes et légères produisent en nous un poids éternel de gloire " (2 Co 4,17). Bien belles sont les pensées de sainte Thérèse sur ce sujet. Elle disait : " Celui qui embrasse la croix ne la sent plus ". Elle disait encore : " Quand on est résolu à souffrir, il n'y a plus de peine ".

Lorsque nous sentons la croix peser sur nous, recourons à Marie, que l'Eglise appelle " la consolatrice des affiigés ", et saint Jean Damascène, " le remède à toutes nos douleurs ".

O ma très douce Souveraine, vous avez souffert avec tant de patience, vous qui étiez exempte de toute faute, et moi, qui ai mérité l'enfer, je refuserais de souffrir ? Ma Mère, la grâce que je vous demande aujourd'hui, ce n'est pas d'être délivré des croix, mais de les porter avec patience. Je vous en prie, pour l'amour de Jésus, obtenez que Dieu m'accorde cette grâce. Je n'attends pas moins de vous, et de vous je l'espère.

 

Esprit de prière et d'oraison de Marie

Jamais personne ici-bas n'a mis en pratique avec autant de perfection que la bienheureuse Vierge ce grand commandement de notre Sauveur : " Il faut toujours prier et ne pas se lasser " (Lc 18,1). Aussi, mieux que tout autre, dit saint Bonaventure, elle peut nous apprendre, par son exemple, la nécessité où nous sommes de persévérer inlassablement dans la prière. Après Jésus-Christ, il n'y eut et il n'y aura jamais personne pour égaler Marie dans la vertu d'oraison, vertu qui fut en elle, selon l'expression d'Albert le Grand, éminemment parfaite. Et d'abord, parce que son oraison fut continuelle et persévérante. Dès le premier instant où elle reçut l'existence, et avec l'existence le parfait usage de la raison, Marie commença à faire oraison. Ce fut même pour mieux vaquer à ce saint exercice, qu'elle voulut, petite enfant de trois ans, se renfermer dans la retraite du Temple. Là, outre les heures qu'elle consacrait durant le jour à l'oraison, elle ne manquait jamais de se lever au milieu de la nuit, pour aller prier devant l'autel, comme elle le révéla elle-même à sainte Elisabeth : " Je me levai toujours au milieu de la nuit, et j'allais me prosterner devant l'autel du Temple, afin d'y présenter mes prières au Seigneur ". Plus tard, c'était encore pour méditer sans trêve les souffrances de Jésus, qu'elle visitait fréquemment, dit l'abbé Odilon, les lieux consacrés par la naissance, la passion, la sépulture de son divin Fils. De plus, son oraison fut toujours profondément recueillie, sans ombre de distraction, sans le plus léger égarement d'esprit. " Jamais, écrit Denis le Chartreux, aucune distraction, aucune attache désordonnée, aucune occupation extérieure même ne détourna l'âme de Marie de sa contemplation ".

Et parce qu'elle aimait l'oraison, elle aima aussi la solitude. Elle l'aima tellement qu'une fois admise dans le Temple, ainsi qu'elle le révéla à sainte Brigitte, elle s'abstint de toute relation avec ses saints parents. Sur ces paroles d'Isaïe : " Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel " (Is 7,14), saint Jérôme fait remarquer que le mot hébreu, traduit ici par vierge, signifie proprement " vierge retirée ". Le prophète a donc vu et annoncé d'avance l'amour de Marie pour la solitude. " C'est à cause de cet amour, affirme Richard de Saint-Laurent, qu'elle mérita d'entendre l'archange Gabriel lui dire : Le Seigneur est avec vous ". Saint Vincent Ferrier assure que la divine Mère ne sortait jamais de chez elle, sinon pour aller au Temple, et que, pendant le trajet, elle demeurait toute recueillie et tenait constamment les yeux baissés. C'est encore par amour de la solitude, qu'en se rendant chez sa cousine Elisabeth, elle fit le voyage en toute hâte.

" Que les jeunes filles, dit saint Ambroise, apprennent à fuir le monde, à l'exemple de Marie ". " Et toujours par ce même attrait pour la prière et la solitude, la Vierge des vierges, ajoute saint Bernard, était attentive à fuir la société et la conversation des hommes ". Le Saint-Esprit appelle Marie une tourterelle : " Vos joues sont belles, lui dit-il, comme les joues de la tourterelle ! " (Ct 1,9 Vulg.). Pourquoi ? parce que, répond Thomas de Verceil, " la tourterelle, amie de la solitude, est l'emblème de la vie unitive ". La sainte Vierge vécut en ce monde comme dans un désert. Aussi est-ce d'elle que l'Epoux divin entend parler, quand il s'écrie : " Quelle est celle qui monte par le désert, comme une colonne de fumée ? " (Ct 3,6). " Vous vous éleviez ainsi par le désert, lui dit l'abbé Rupert, parce que votre âme aimait grandement la solitude ".

Le philosophe Philon disait que Dieu aime à parler dans le désert. Et n'est-ce pas ce que Dieu lui-même déclare par la bouche du prophète Osée : " Je la conduirai dans la solitude, et je parlerai à son coeur " (Os 2,16). " O solitude, s'écriait saint Jérôme, bienheureuse solitude, dans laquelle Dieu s'entretient et converse familièrement avec ses amis " ! Il en est ainsi, ajoute saint Bernard, parce que " la solitude et le silence dont on y jouit forcent l'âme à s'élever par la pensée au-dessus de la terre et à méditer les biens du ciel ".

Vierge très sainte, daignez nous obtenir l'amour de l'oraison et de la solitude, afin que nous détachant des créatures, nous puissions n'aspirer qu'à Dieu seul et au paradis, où nous espérons vous voir un jour pour louer et aimer sans cesse avec vous votre Fils Jésus, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

" Venez à moi, vous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits " (Si 24,19). Les fruits de Marie sont ses vertus. O Marie, personne ne vous a jamais égalée et personne ne vous égalera jamais. Aussi plus que personne, vous avez ravi le Christ Jésus.