Chapitre 1
Paragraphe 1
Combien doit être grande notre confiance en
Marie, parce qu'elle est Reine de
miséricorde.
L'auguste Vierge Marie ayant été élevée à la dignité de
Mère du Roi des rois, la sainte Église a raison de l'honorer
et de vouloir que tous l'honorent du glorieux titre de
Reine.
Si le Fils est Roi, dit saint Athanase, la Mère a le
droit d'être tenue pour Reine et d'en porter le nom. Oui,
ajoute saint Bernardin de Sienne, quand Marie consentit à être
la Mère du Verbe éternel, à l'instant même et par ce
consentement elle mérita et obtint la principauté de la terre,
le domaine du monde, le sceptre et la qualité de Reine de
toutes les créatures. Et, comme l'observe Arnauld de Chartres,
si par la chair Marie est unie si intimement à Jésus, comment
cette divine Mère serait-elle séparée de son Fils quant à la
puissance souveraine ? Il faut donc le reconnaître, la dignité
royale n'est pas seulement commune au Fils et à la Mère, mais
ils n'ont qu'une seule et même royauté.
Or, si Jésus est Roi de l'univers, c'est de l'univers
aussi que Marie est Reine : " Reine du ciel, dit l'abbé
Rupert, elle commande à bon droit à tout le royaume de son
Fils ". De là cette conséquence exprimée par saint Bernardin
de Sienne : Autant de créatures servent Dieu, autant doivent
servir Marie. Les anges, les hommes et tout ce qui existe au
ciel et sur la terre, étant soumis à l'empire de Dieu, le sont
pareillement à la domination de cette glorieuse Vierge. De là
aussi cette exclamation de l'abbé Guéric, s'adressant à la
divine Mère : Continuez donc, ô Marie, continuez de régner en
toute sécurité ; disposez à votre gré des biens de votre Fils
; puisque vous êtes la Mère et l'Épouse du Roi de l'univers,
vous êtes Reine, et avez droit à l'empire et à la domination
sur toutes les créatures.
Marie est donc Reine ; mais, sachons-le pour notre
commune consolation, elle est une Reine pleine de douceur et
de clémence toute disposée à répandre ses bienfaits sur notre
misère. C'est pourquoi, la sainte Église veut qu'en la saluant
dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions le
titre de Mère de miséricorde. Selon la remarque du Bienheureux
Albert le Grand, le nom même de Reine éveille l'idée de
compassion, de sollicitude en faveur des pauvres, à la
différence du nom d'Impératrice, qui signifie sévérité et
rigueur. Et, d'après Sénèque, la vraie grandeur des rois et
des reines consiste à soulager les malheureux. A la différence
donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement
personnelles, les rois doivent se proposer pour unique fin le
bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie de
leur sacre, on leur oint la tête d'huile, emblème de
miséricorde ; ils sont avertis par là que, sur le trône, ils
devront surtout nourrir, envers leurs sujets, des sentiments
de commisération et de bonté.
Il est donc du devoir des rois de s'appliquer
principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non au point
d'oublier l'exercice de la justice à l'égard des coupables,
quand cela est nécessaire. Cependant il n'en est pas ainsi de
Marie : elle est Reine, mais elle n'est pas Reine de justice,
obligée d'office à punir les malfaiteurs ; elle est Reine de
miséricorde, et son unique attribution est d'avoir pitié des
pécheurs et de leur ménager le pardon. Telle est la raison du
nom de Reine de miséricorde, sous lequel l'Église nous apprend
à l'invoquer. J'ai appris ces deux choses, chantait David, que
la puissance appartient à Dieu, et que vous êtes, Seigneur,
rempli de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du
célèbre Gerson, chancelier de Paris : La royauté de Dieu
comprend l'exercice de la justice et celui de la miséricorde ;
or le Seigneur l'a partagée : il s'est réservé à lui-méme le
règne de la justice, et il a cédé à Marie le règne de la
miséricorde, voulant que toutes les grâces accordées aux
hommes passent par les mains de cette douce Reine, pour être
départies à son gré. Cette explication est confirmée par saint
Thomas, dans sa préface aux Êpîtres canoniques ; quand la
Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe divin,
elle obtint la moitié du règne de Dieu, et devint Reine de
miséricorde, Jésus-Christ restant Roi de justice.
Le Père éternel a établi Jésus-Christ Roi de justice,
et, en cette qualité, Juge universel du monde ; c'est ce que
le Prophète célèbre en ces termes : O Dieu, donnez votre
justice au Fils du Roi. Seigneur, ajoute ici un savant
interprète, vous avez donné à votre Fils la justice, parce que
vous avez donné la miséricorde à sa Mère. Avec non moins de
bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles
du Psalmiste : Seigneur, donnez votre justice au Roi, et votre
miséricorde à la Reine, sa Mère. - Ernest, archevêque de
Prague, dit pareillement que le Père éternel a confié au Fils
l'office de juger et de punir, et à la Mère celui de compatir
et de soulager. A Marie peut donc s'appliquer la prophétie du
même David : Dieu a fait couler sur votre front une huile
d'allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré de ses
propres mains Marie Reine de miséricorde, et nous a donné à
nous tous, infortunés enfants d'Adam, un motif de vive
allégresse dans la personne de cette grande Reine que nous
avons au ciel, et qui est toute détrempée du baume de la
miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine de
l'huile d'une maternelle tendresse à notre égard.
Le bienheureux Albert le Grand fait intervenir ici, de
la manière la plus heureuse, l'histoire de la reine Esther,
qui fut d'ailleurs une des figures de notre Reine
Marie.
On lit au livre d'Esther, que, sous le règne
d'Assuérus, un édit fut publié qui condamnait à la mort tous
les Juifs de ses États. Alors Mardochée, l'un des condamnés,
recommanda leur salut à Esther, et la pria d'intercéder pour
eux auprès du Roi, afin d'obtenir la révocation de la
sentence. Au premier abord, Esther refusa de faire cette
démarche, craignant d'accroître par là l'indignation
d'Assuérus. Mais Mardochée lui envoya quelqu'un, chargé de lui
faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il
dire, songer uniquement à sa propre sûreté, puisque le
Seigneur l'avait élevée sur le trône pour procurer le salut de
tous les Juifs. Ne croyez pas que vous puissiez vous sauver
seule, parce que, dans la maison du roi, vous tenez un rang
supérieur à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine
Esther ; ainsi pourrions-nous aussi, nous, pauvres pécheurs,
parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait à nous
obtenir de Dieu la remise de la peine due à nos péchés : Ne
pensez pas qu'il vous soit permis de vous sauver seule, parce
que, dans la maison du Roi, vous occupez un rang plus haut
qu'aucun homme. Non, auguste Souveraine, ne pensez pas que
Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine du monde,
uniquement en vue de votre bonheur ; il a voulu aussi que
cette sublime grandeur vous mît à même de compatir plus
efficacement à
nos misères et de les soulager mieux.
Lorsqu'Assuérus vit Esther en sa présence, il lui
demanda avec amour ce qu'elle désirait. O mon Roi
répondit-elle, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux,
accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel j'implore
votre clémence. - Assuérus l'exauça et ordonna aussitôt que la
sentence fût révoquée. Or, si Assuérus accorda le salut des
Juifs à Esther, parce qu'il l'aimait, comment Dieu, qui aime
Marie d'un amour immense, pourrait-il ne pas l'exaucer,
lorsqu'elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament
son intercession, et qu'elle lui dit : O mon Roi et mon Dieu,
si j'ai trouvé grâce devant vous, si vous m'aimez,
accordez-moi le salut de ces pécheurs pour lesquels
j'intercède auprès de vous. - Si vous m'aimez !... Ah ! elle
n'ignore pas, cette divine Mère, qu'elle est la bénie, la
bienheureuse, celle qui, seule entre tous les enfants d'Adam,
a trouvé la grâce perdue par l'homme ; elle sait qu'elle est
la Bien-Aimée de son Seigneur, plus aimée que tous les saints
et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu pourrait-il ne
pas l'exaucer ? Qui ne connaît la force dès prières de Marie
auprès de Dieu ? Une loi de clémence sort de ses lèvres, dit
le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt
sanctionnée par le Seigneur, et qui garantit un arrêt de
miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède. Saint Bernard
demande pourquoi l'Église appelle Marie Reine de miséricorde,
et il répond : C'est que l'on croit qu'elle ouvre l'abîme de
la miséricorde divine à qui elle veut, quand elle veut, et
comme elle veut en sorte que nul pécheur, si criminel soit-il,
ne se perd, pourvu que Marie le protège.
Mais n'est-il pas à craindre que Marie ne refuse de
s'entremettre pour certains pécheurs qui lui paraîtront trop
souillés ? ou bien ne devons-nous pas nous laisser intimider
par la majesté et la sainteté de cette grande Reine ? - Oh !
non, répond saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et
élevée, autant elle est douce et miséricordieuse envers les
pécheurs qui l'invoquent avec un vrai désir de s'amender. Les
airs de grandeur que prennent les rois et les reines de la
terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets
craignent de paraître en leur présence ; mais, demande saint
Bernard, quelle appréhension pourrait empêcher les malheureux
d'aller à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien
paraître de terrible ou d'austère en sa personne, elle ne
montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver ; " à
tous elle offre le lait et la laine " ; non contente de les
donner à qui les lui demande, elle les offre d'elle-même à
tous ; elle leur offre le lait de la miséricorde pour les
animer à la confiance, et la laine de sa protection pour les
garantir des foudres de la justice divine.
Au rapport de Suétone, quelque faveur qu'on demandât à
l'empereur Titus, il ne savait la refuser ; parfois même, il
promettait plus qu'il ne pouvait tenir ; et à ceux qui l'en
avertissaient : un prince, répondait-il, ne doit renvoyer
mécontent aucun de ceux qu'il a une fois admis en sa présence.
Ainsi parlait Titus, mais, dans le fait, il lui arrivait
peut-être souvent de faire de fausses promesses ou de manquer
à sa parole. Notre Reine, au contraire, est incapable de nous
tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce
qu'elle veut à ses dévots ; elle a d'ailleurs le coeur si bon,
si compatissant, assure Lansperge, qu'elle ne saurait renvoyer
sans consolation un malheureux qui la prie. Marie, ô Marie,
s'écrie saint Bernard, comment pourriez-vous refuser votre
appui aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde ?
quels sont les sujets de la miséricorde, sinon les misérables
? Vous êtes Reine de miséricorde, et moi, je suis le plus
misérable de tous les pécheurs ; je tiens donc le premier rang
parmi vos sujets, et vous devez prendre soin de moi plus que
de tous les autres. Ayez donc pitié de nous, ô Reine de
miséricorde, et pensez à nous sauver.
Et ne dites pas, ô Vierge sainte semble ajouter saint
Georges de Nicomédie ; ne dites pas que la multitude de nos
péchés vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre
puissance et votre bonté, qu'il n'est pas de fautes si
nombreuses qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne
résiste à votre puissance, parce que votre Créateur, qui est
aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et croit
se faire honneur à lui-même en honorant sa Mère ; aussi le
fait-il avec une joie extrême : on dirait qu'en exauçant vos
prières, il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire
le saint, bien que Marie soit infiniment obligée envers son
Fils, qui l'a choisie pour Mère, on ne peut nier qu'à son tour
il ne soit, lui-même, fort obligé envers Marie, puisqu'elle
lui a donné l'être humain. Eh bien ! pour payer en quelque
sorte à sa Mère tout ce qu'il lui doit, Jésus se plaît à
accroître sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement en
lui accordant toutes ses requêtes.
Quelle confiance ne devons-nous donc pas avoir en cette
auguste Reine, nous qui la savons si puissante auprès de Dieu,
et en même temps si riche de miséricorde, que personne au
monde n'est exclu de sa tendresse et de ses faveurs ! C'est ce
que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même à sainte
Brigitte : " Je suis, lui dit-elle un jour, la Reine du ciel
et la Mère de miséricorde ; je suis la joie des justes et la
porte par laquelle les pécheurs ont accès auprès de Dieu. Il
n'est pas de pécheur maudit au point d'être privé des effets
de ma miséricorde tant qu'il vit sur la terre car il n'en est
aucun qui ne doive quelque grâce à mon intercession, ne fût-ce
que celle d'être moins tenté par les démons. Aucun pécheur,
ajoute-t-elle, à moins qu'il ne soit tout à fait maudit
(c'est-à-dire frappé de la malédiction finale et irrévocable
qui se prononce contre les damnés), aucun pécheur n'est
tellement rejeté de Dieu, qu'il ne puisse, en m'appelant à son
aide, retourner à Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde,
dit-elle encore, m'appelle Mère de miséricorde, et vraiment,
c'est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m'a rendue
si miséricordieuse à leur égard. Enfin, elle conclut en ces
termes : Bien malheureux sera donc, dans la vie future, et
malheureux à jamais, celui qui se sera damné faute de recourir
à moi, comme il le pouvait, dans la vie présente, à moi, si
miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse de
venir en aide aux pécheurs ".
Voulons-nous donc assurer notre salut, allons souvent,
allons sans cesse nous réfugier aux pieds de cette douce
Reine, et, si la vue de nos péchés nous épouvante et nous
décourage, souvenons-nous que Marie a été établie Reine de
miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs les
plus coupables et les plus désespérés, pourvu qu'ils se
recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne dans le
ciel, comme le lui fait entendre l'Époux divin, en lui disant
: Viens du Liban, mon Épouse ; viens du Liban, viens tu seras
couronnée... des cavernes des lions et des montagnes qui
servent de retraite aux léopards. Quelles sont, en effet, ces
retraites de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs
? leurs âmes ne sont-elles pas des réceptacles de péchés
divers, monstres les plus affreux que l'on puisse concevoir ?
- Oui, ô Marie ! je le dis avec l'abbé Rupert, c'est le salut
de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne en paradis,
couronne bien digne de vous et la mieux appropriée à une Reine
de miséricorde.
Paragraphe 2
Combien notre confiance en Marie doit être plus
grande encore, parce qu'elle est notre Mère.
Les serviteurs de Marie se plaisent à l'appeler leur
Mère ; ils ne savent même, ce semble, l'invoquer sous un autre
titre jamais ils ne se lassent de la nommer ainsi. Ce n'est
pas au hasard ni sans motif, car elle est bien réellement leur
Mère. Marie est notre Mère à tous, non pas selon la chair,
mais selon l'esprit : elle est la Mère de nos âmes et de notre
salut. Le péché avait dépouillé nos âmes de la grâce divine
qui est leur vie, et les avait livrées à la plus déplorable
des morts. Dans l'excès de sa miséricorde et de son amour,
Jésus, notre Rédempteur, vint à nous et nous rendit, au prix
de sa mort sur la croix, la vie que nous avions perdue : Je
suis venu, a-t-il dit lui-même, afin que mes brebis aient la
vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Il dit : plus
abondamment, car, selon les théologiens, Jésus-Christ nous
apporta plus de bien en nous rachetant, qu'Adam ne nous avait
causé de mal par son péché. Ainsi, en nous réconciliant avec
Dieu, Jésus est devenu, sous le régime de la loi de grâce, le
Père de nos âmes ; c'est là ce qu'Isaïe avait prédit, en
l'appelant le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Or,
si Jésus-Christ est le Père de nos âmes, Marie en est la Mère
; car, en nous donnant Jésus, elle nous a donné la véritable
vie, et, en offrant ensuite sur le Calvaire la vie de son Fils
pour notre salut, elle nous a enfantés à la vie de la
grâce.
Ce fut donc en deux circonstances, comme nous
l'apprennent les saints Pères, que Marie devint notre Mère
spirituelle.
Ce fut premièrement quand elle conçut dans son sein
virginal le Fils de Dieu ; tel est l'enseignement du
bienheureux Albert le Grand ; et saint Bernardin de Sienne
nous l'explique en ces termes : Quand Marie, instruite par
l'Ange des desseins de Dieu sur elle, donna le consentement
que le Verbe éternel attendait pour devenir son Fils, elle
demanda en même temps à Dieu, avec un amour immense, le salut
du genre humain, et elle se dévoua tellement à l'oeuvre de
notre rédemption que, comme la plus tendre des mères elle nous
porta tous dès lors dans les entrailles de sa
charité.
Dans le récit de la naissance de notre Sauveur, saint
Luc dit que Marie mit au monde son premier-né. Cela fait
supposer, observe un auteur, qu'elle a eu d'autres enfants
après celui-là ; mais, continue-t-il, puisqu'il est de foi que
la Vierge n'a pas eu, selon la chair, d'autres enfants que
Jésus-Christ, il s'ensuit qu'elle a dû en avoir selon
l'esprit, et c'est nous tous. Cette explication fut révélée
par le Seigneur lui-même à sainte Gertrude : lisant un jour
dans l'Évangile le passage en question, elle en fut troublée ;
elle ne pouvait comprendre comment Jésus-Christ peut s'appeler
le premier-né d'une Mère dont il est le Fils unique ; or, Dieu
lui fit comprendre que Jésus est le premier-né de Marie selon
la chair, et les autres hommes ses puînés selon
l'esprit.
Ainsi s'entend encore ce qui est dit de la bienheureuse
Vierge dans les Cantiques : Votre sein est comme un monceau de
froment, tout environné de lis. Saint Ambroise commente ces
paroles en disant que, dans le sein très pur de Marie, il n'y
eut qu'un seul grain, à savoir, Jésus-Christ, lequel est
néanmoins comparé à un monceau de froment, parce que dans ce
seul grain étaient renfermés tous les élus, dont Marie devait
être aussi la Mère. La même pensée est ainsi exprimée par
l'abbé Guillaume : En mettant au monde Jésus-Christ, notre
Sauveur et notre vie, Marie nous a tous enfantés au salut et à
la vie.
En second lieu, Marie nous a enfantés à la grâce sur le
Calvaire, lorsque, d'un coeur brisé par la douleur, elle
offrit au Père éternel pour notre salut la vie de son Fils
bien-aimé. Saint Augustin affirme en effet qu'en contribuant
alors par sa charité à faire naître les fidèles à la vie de la
grâce, Marie devint notre Mère à tous, la Mère spirituelle de
tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ. Et c'est
dans ce sens qu'on applique à la bienheureuse Vierge ces mots
des Cantiques : Ils m'ont placée comme gardienne dans les
vignes, et je n'ai pas gardé ma propre vigne. Car, dans son
désir de sauver nos âmes, Marie consentit à sacrifier, à
livrer à la mort son propre Fils : En vue du salut d'un grand
nombre d'âmes, dit Guillaume, elle a abandonné son âme propre
à la mort. Or, l'âme de Marie, n'était-ce pas son Jésus ?
n'était-il pas la vie et l'unique amour de sa Mère ? Saint
Siméon avait donc raison de prédire à cette tendre Mère qu'un
jour son âme bénie serait transpercée d'un glaive cruel ; ce
glaive fut la lance qui perça le côté de Jésus, ci je le
répète, Jésus était l'âme de Marie. Eh bien ! ce fut en ce
moment que, par ses douleurs, elle nous enfanta à la vie
éternelle, et dès lors tous nous pouvons nous dire les enfants
des douleurs de Marie. Cette Mère très aimante fut toujours
parfaitement unie à la volonté de Dieu ; c'est pourquoi,
voyant le Père porter l'amour envers nous jusqu'à vouloir
sacrifier son Fils à notre salut, et le Fils nous aimer
jusqu'à vouloir mourir pour nous, elle conforma son amour
envers le genre humain à l'amour excessif du Père et du Fils ;
et ce fut de tout coeur que, pour nous voir sauvés, elle
consentit à la mort de son Fils. C'est la pensée de saint
Bonaventure : " Il ne faut nullement douter, écrit-il, que
Marie n'ait voulu, elle aussi, livrer son Fils pour le salut
du genre humain, afin que la Mère fût de toute façon la fidèle
imitatrice du Père ".
Il est vrai que Jésus a voulu être seul à mourir pour
la rédemption du genre humain, et, selon l'expression d'Isaïe,
à fouler le vin de notre salut ; néanmoins, ayant égard à
l'ardent désir qui pressait Marie de coopérer de son côté à ce
grand ouvrage, il décida queue y prendrait part en l'offrant,
lui, Jésus, à l'autel du sacrifice, et qu'ainsi elle
deviendrait la Mère de nos âmes. Ce mystère nous fut dévoilé
par notre Sauveur lui-même : sur le point d'expirer, il
abaissa ses regards sur sa Mère et sur son disciple saint
Jean, tous deux debout au pied de sa croix, et dit d'abord à
Marie : Ecce filius tuus, " voilà votre fils ". C'est comme
s'il eût dit : Voilà l'homme que vous venez de faire naître à
la grâce en offrant ma vie pour son salut. S'adressant ensuite
au disciple : Ecce Mater tua, lui dit-il, " voilà votre Mère
". Par ces paroles, remarque saint Bernardin, Jésus donnait
Marie pour mère, non pas au seul saint Jean, mais à tous les
hommes, en raison de son amour pour eux. Et c'est là, selon
Silveira, le motif pour lequel saint Jean, qui rapporte
lui-même ce fait dans son Évangile, se désigne sous le nom
commun de disciple : Jésus dit au disciple : Voilà votre Mère
; le Sauveur ne parlait donc pas à Jean, mais au disciple ;
c'est-à-dire qu'en lui il voyait tous ceux qui, par la foi,
sont ses disciples ; et c'était à eux tous qu'il donnait Marie
pour Mère.
Je suis la Mère du bel amour, dit Marie. Elle parle
ainsi, observe un auteur, parce que son amour pour nos âmes
les rend belles aux yeux de Dieu, et l'engage elle-même à nous
adopter avec toute la tendresse d'une mère. Et quelle mère,
s'écrie saint Bonaventure, quelle mère aime ses enfants et
prend soin de leur bien-être, comme vous, ô très douce Reine,
vous nous aimez et veillez sur tous nos intérêts ?
Heureux ceux qui vivent sous la protection d'une Mère
si aimante et si puissante ! Bien qu'au temps de David Marie
ne fut pas encore née, cependant, au dire de saint Augustin,
ce prophète demandait déjà à Dieu de le sauver à titre
d'enfant de cette Vierge glorieuse : Sauvez, disait-il, le
fils de votre servante. De quelle servante ? demande ce saint
docteur si ce n'est de celle qui a dit : Je suis la servante
du Seigneur ? Eh ! s'écrie Bellarmin, qui aura l'audace
d'arracher des bras de Marie ses enfants, lorsqu'ils y
cherchent un asile contre les poursuites de leurs ennemis ?
Quel démon assez furieux, quelle passion assez violente pour
les vaincre, s'ils placent leur confiance dans la protection
d'une Mère si puissante ? Quand la baleine voit son petit
exposé à périr dans une tempête ou à être pris par les
pécheurs, elle ouvre la bouche, dit-on, et le reçoit dans son
sein. Ce qui est sûr, c'est qu'ainsi fait Marie : quand cette
bonne Mère voit ses enfants exposés à de trop grands périls
par la violence des tentations, elle les cache avec amour
comme dans ses propres entrailles, assure Novarin, les y tient
à l'abri du danger, et ne cesse de les garder jusqu'à ce
qu'elle les ait mis en sûreté dans le port du
salut.
O Mère pleine de tendresse ! ô Mère pleine de bonté !
soyez à jamais bénie ! et béni soit à jamais le Dieu qui vous
a donnée à nous pour Mère, et pour refuge assuré contre tous
les hasards de cette vie ! - Dans une révélation faite par
elle-même à sainte Brigitte, la très sainte Vierge s'est
comparée à une mère qui, voyant son fils entre les épées de
ses ennemis, n'épargnerait aucun effort pour lui sauver la
vie. C'est ainsi que j'agis, ajouta-t-elle, et que j'agirai
toujours en faveur de mes enfants, quelque coupables qu'ils
soient, pourvu qu'ils invoquent mon secours. Voilà donc le
moyen de vaincre l'enfer, et de le vaincre à coup sûr, dans
tous les combats qu'il nous livre nous n'avons qu'à recourir à
celle qui est la Mère de Dieu et la nôtre, en disant et en
répétant sans cesse : Je me réfugie sous votre protection, ô
sainte Mère de Dieu ! - Combien de victoires les fidèles
n'ont-ils pas remportées sur l'enfer par cette courte mais
puissante prière ! C'est par ce moyen qu'une grande servante
de Dieu, la soeur Marie-Crucifiée, bénédictine, triomphait
toujours des démons.
Courage donc, ô vous qui êtes les enfants de Marie et
nous savons qu'elle reçoit pour ses enfants tous ceux qui
désirent l'être ; courage et confiance ! Pouvez-vous craindre
de périr, défendus et protégés comme vous l'êtes par une telle
Mère ? Voici ce que doit se dire, à la suite de saint
Bonaventure, quiconque aime cette bonne Mère et se met sous sa
protection : Ô mon âme ! que crains-tu ? tu ne saurais perdre
la cause de ton salut éternel, puisque la sentence est laissée
à la décision de Jésus, qui est ton Frère, et de Marie, qui
est ta Mère. - La même pensée remplissait saint Anselme d'une
joie qu'il nous communique en s'écriant : Ô heureuse confiance
! ô refuge assuré ! la Mère de Dieu est ma Mère ; avec quelle
certitude ne devons-nous pas espérer, puisque l'affaire de
notre salut est entre les mains d'un Frère si bon et d'une
Mère si compatissante !
Écoutons donc la voix de notre Mère, qui nous appelle :
Si quelqu'un est petit et faible comme un enfant, nous
crie-t-elle, qu'il vienne à moi. Les enfants ont toujours à la
bouche le nom de leur mère ; et, dans tous les dangers qui les
menacent, à la moindre crainte qui les saisit, on les entend
aussitôt s'écrier : Ma mère ! ma mère ! - Ah ! douce Marie, ah
! douce Mère, c'est là précisément ce que vous désirez de nous
: vous désirez que, comme vos enfants, nous vous appelions à
notre secours dans tous les périls, parce que vous voulez nous
protéger et nous sauver, ainsi que vous avez toujours fait
quand vos enfants ont eu recours à vous.
Paragraphe 3
Combien est grand l'amour que nous porte Marie,
notre Mère.
Après avoir établi que Marie est notre Mère, il est
juste de considérer à quel point elle nous aime. L'amour des
parents envers leurs enfants est un amour nécessaire ; c'est
pour cette raison, suivant la remarque de saint Thomas, que la
loi divine, qui impose aux enfants l'obligation d'aimer leurs
parents, ne fait point aux parents un précepte formel d'aimer
leurs enfants. La nature a si profondément implanté dans les
entrailles de tout être vivant l'amour de sa progéniture, que,
comme le dit saint Ambroise, les bêtes même les plus sauvages
ne peuvent s'empêcher d'aimer leurs petits. On raconte même
qu'aux cris de leurs petits, embarqués par les chasseurs, les
tigres se jettent à la mer, et suivent le vaisseau à la nage
jusqu'à ce qu'ils le rejoignent. Si donc, nous dit notre
tendre Mère Marie, si les tigres mêmes aiment tant leurs
petits, comment pourrais-je, moi, cesser de vous aimer,
d'aimer mes enfants ? Une mère peut-elle oublier son enfant,
et perdre toute tendresse à l'égard du fruit de ses entrailles
? mais, quand même elle l'oublierait, moi, je ne l'oublierai
point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la
même chose : Non, quand même, par impossible, une mère
oublierait son fils, il n'arrivera jamais que je renonce à ma
tendresse envers une âme qui est ma fille.
Marie, est notre Mère, comme nous l'avons dit, non par
la chair, mais par l'amour : Je suis la Mère de belle
dilection. C'est donc uniquement en raison de sa tendresse à
notre égard qu'elle est notre Mère et voilà, remarque un
auteur, pourquoi elle se glorifie d'être Mère d'amour ; nous
ayant adoptés pour ses enfants, elle est toute amour pour
nous. Qui pourrait expliquer l'amour que Marie nous porte
parmi nos misères ? Selon le même auteur, en assistant à la
mort de Jésus-Christ, elle brûlait d'un extrême désir de
mourir avec son divin Fils pour l'amour de nous. Ainsi, ajoute
saint Ambroise, pendant que le Fils mourait pour nous sur la
croix, la Mère se présentait aux bourreaux, toute prête à
donner également sa vie pour notre amour.
Mais nous nous ferons une plus juste idée du grand
amour de cette bonne Mère envers nous, si nous en considérons
les motifs.
Le premier, c'est son immense amour pour Dieu. Selon
saint Jean, l'amour de Dieu et celui du prochain, sont l'objet
du même précepte : C'est là un commandement que nous avons
reçu de Dieu : celui qui aime Dieu, doit aimer aussi son frère
; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l'un ne peut
grandir sans que l'autre grandisse d'autant. Voyez les saints,
qui aimaient Dieu si ardemment, que n'ont-ils pas fait pour le
bien du prochain ! Dans leur désir de le sauver ils en sont
venus jusqu'à exposer et sacrifier leur liberté, et même leurs
jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus
héroïque charité. Afin de venir en aide aux peuplades barbares
de l'Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des
montagnes escarpées, et allait à travers mille dangers,
trouver au fond des cavernes les malheureux qui y vivaient
comme des bêtes sauvages, et qu'il voulait amener à Dieu. Dans
ses missions aux hérétiques du Chablais, saint François de
Sales se hasarda chaque jour, une année durant, à passer une
rivière en se cramponnant des mains et des pieds sur une
poutre parfois couverte de glaçons, afin d'aller sur
l'autre rive prêcher ces obstinés. Saint Paulin se fit
esclave, pour rendre à la liberté le fils d'une pauvre veuve ;
saint Fidèle de Sigmaringen s'estima heureux de perdre la vie
en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique. Comment les
saints ont-ils pu pousser si loin l'amour du prochain ? C'est
qu'ils aimaient Dieu très ardemment. Or, qui l'a plus aimé que
Marie ? Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que
ne l'ont aimé tous les saints et tous les anges dans tout le
cours de leur existence, comme nous le ferons voir au long, en
parlant de ses vertus.
D'après une révélation de la bienheureuse Vierge
elle-même à la soeur Marie-Crucifiée, le feu dont elle brûle
pour Dieu, mettrait en cendres en un instant le ciel et la
terre, et, auprès de ses ardeurs, toutes celles des séraphins
sont comme le souffle d'un vent frais. Si donc, parmi tous les
esprits célestes, aucun n'aime Dieu plus que Marie, nous
n'avons ni n'aurons jamais personne, Dieu seul excepté, qui
nous aime plus que cette tendre Mère. Quand même on réunirait
l'amour de toutes les mères pour leurs enfants, de tous les
époux pour leurs épouses, de tous les saints et de tous les
anges pour leurs protégés, tous ces amours n'égaleraient point
ensemble celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse
de toutes les mères pour leurs enfants est une ombre en
comparaison de celui que Marie porte à chacun de nous, assure
Nieremberg ; et elle nous aime, à elle seule, immensément plus
que tous les anges et tous les saints ensemble.
Un autre motif pour lequel notre sainte Mère nous aime
beaucoup, c'est que nous lui fûmes donnés pour enfants, et
recommandés par son bien-aimé Jésus, quand, sur le point
d'expirer, il lui dit : Femme, voilà votre Fils. Comme il a
été vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans
la personne de saint Jean. Ces paroles furent les dernières
que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses
sont les suprêmes recommandations d'une personne chérie aux
prises avec la mort, pour qu'on en puisse jamais perdre la
mémoire.
De plus, nous sommes des enfants excessivement chers à
Marie, parce que nous lui coûtons d'excessives douleurs. Une
mère ressent toujours une affection spéciale pour l'enfant
auquel elle n'a conservé la vie qu'à force de soins et de
peines. Tels sommes-nous à l'égard de Marie : pour nous faire
naître à la vie de la grâce, il lui a fallu, - quel supplice
pour son coeur ! - il lui a fallu sacrifier elle-même la vie
si précieuse de son Jésus, et se résigner à voir de ses yeux
ce Fils qui expirait dans les tourments. C'est à ce grand
sacrifice de Marie, je le répète, que nous sommes redevables
de la vie dé la grâce ; sa tendresse pour nous, pour des
enfants qui lui ont coûté tant de peines, est donc extrême.
Ainsi, ce qui est dit du Père éternel, à savoir, qu'il a aimé
les hommes jusqu'à livrer pour eux son Fils unique, nous
pouvons, remarque saint Bonaventure, le dire pareillement de
Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point de nous donner
son Fils unique. Et quand nous le donna-t-elle ? Elle nous le
donna, répond le père Nieremberg, d'abord, quand elle lui
permit d'aller à la mort. Elle nous le donna quand, les autres
manquant à leur devoir par haine ou par crainte, elle pouvait
bien, elle seule, défendre auprès des juges la vie de son
Fils. Ne doit-on pas croire, en effet, que les paroles d'une
mère si sage, si tendre à l'égard de son Fils, eussent pu
faire assez d'impression, du moins sur Pilate, pour le
dissuader de condamner à mort un homme dont il avait lui-même
reconnu et proclamé l'innocence ? Mais non, Marie ne voulut
pas prononcer le moindre mot en faveur de son Fils, afin de ne
pas s'opposer à sa mort, à laquelle notre salut était
attaché.
Elle nous le donna enfin, elle nous le donna mille et
mille fois, pendant ces trois heures qu'elle passa au pied de
la croix veillant sur l'agonie de son Fils. Oui, autant
d'instants il y eut dans ces trois heures, autant de fois elle
fit pour nous, avec une douleur extrême et un extrême amour
envers nous, le sacrifice de son Jésus. Et, selon saint
Anselme et saint Antonin, telle était sa constance, qu'au
défaut des bourreaux, elle l'eût crucifié elle-même pour obéir
au Père éternel, qui voulait nous sauver par la mort de son
Fils. Et, en effet, si Abraham eut la force de consentir à
immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas en
douter, bien plus sainte et plus obéissante qu'Abraham, Marie
eût accompli le sacrifice avec plus de courage
encore.
Mais, pour revenir à notre sujet, combien de
reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour d'un acte
d'amour si généreux, je veux dire, du douloureux sacrifice
qu'elle a fait de la vie de son Fils unique, afin de nous voir
tous sauvés ! Magnifique fut le prix dont le Seigneur
récompensa le sacrifice qu'Abraham avait voulu lui faire de
son fils Isaac ; mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie
pour nous avoir réellement sacrifié la vie de son Jésus, Fils
bien plus auguste et bien plus aimé que le fils d'Abraham ?
Cet amour de Marie nous impose une grande obligation de
l'aimer ; car, selon la remarque de saint Bonaventure, jamais
créature ne nous aimera à l'égal de Celle qui nous a abandonné
son unique Fils, un Fils, qui lui était plus cher que sa
propre vie.
De là pour Marie un nouveau motif qui la presse de nous
aimer : elle considère en nous le prix auquel nous fûmes
achetés, la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un
serviteur racheté par son fils chéri au prix de vingt années
de prison et de souffrances, combien, à ce seul point de vue,
n'estimerait-elle pas ce serviteur ! Marie sait que son Fils
est venu en ce monde à l'unique fin de nous arracher à notre
misère, ainsi qu'il l'a déclaré lui-même : Le Fils de l'homme
est venu chercher et sauver ce qui était perdu ; elle sait
que, pour nous racheter, il a bien voulu donner jusqu'à son
sang, et s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Nous aimer peu
après cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas
du sang versé par son Fils pour notre rançon. Il fut révélé à
la vierge sainte Élisabeth, qu'à partir de son entrée dans le temple, la
vie de Marie fut une prière incessante pour qu'il plût à Dieu
d'envoyer sans retard son Fils au secours du monde perdu ; or,
nous devons le penser, elle nous aime bien plus encore, depuis
qu'elle a vu son Fils nous priser si haut, et payer si cher
notre délivrance.
Et, comme tous les hommes ont été rachetés par
Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à aucun ses faveurs.
C'est d'elle qu'il s'agit dans ce passage de l'Apocalypse : Un
grand signe parut dans le ciel : une femme revêtue du soleil.
Elle fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme,
selon le psaume, il n'est personne sur la terre qui échappe à
la chaleur du soleil, de même nul homme vivant n'est exclu de
la tendresse de Marie. C'est l'explication de l'Idiot : Par la
chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre ici l'amour de
Marie. Eh ! s écrie saint Antonin, qui pourrait comprendre la
sollicitude de cette tendre Mère envers chacun de nous ? Elle
ouvre à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue
ses bienfaits. Car elle a désiré le salut de tous les hommes
et contribué au salut de tous. Il est certain, dit saint
Bernard, qu'elle s'est vivement intéressée au bien du genre
humain tout entier. On voit par là combien est utile la
pratique familière à plusieurs serviteurs de Marie, de prier
le Seigneur qu'il leur accorde les grâces dont la bienheureuse
Vierge lui fait pour eux la demande. Or, cette manière de
prier est fondée en raison, remarque Cornelius a Lapide, car
notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents que
nous n'en pouvons nous-mêmes désirer. Et, comme l'assure le
pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée à nous
combler de ses bienfaits, à nous dispenser des grâces, que
nous-mêmes à les recevoir. Aussi le bienheureux Albert le
Grand lui applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle
prévient ceux qui la désirent, et elle se montre à eux la
première. Oui, Marie, elle aussi, prévient ceux qui recourent
à elle, de sorte qu'ils la trouvent avant de l'avoir cherchée.
Telle est à notre égard la tendresse de cette bonne Mère,
ajoute Richard, qu'à la première vue de nos besoins et avant
même d'être invoquée par nous, elle vient à notre
secours.
Mais si Marie est si bonne envers tout le monde, sans
en excepter les ingrats qui l'aiment peu et qui sont
négligents à l'invoquer, combien plus tendre sera-t-elle à
l'égard de ceux qui l'aiment sincèrement et l'invoquent
fréquemment ? Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et
ceux qui la cherchent la trouvent. Oh ! s'écrie le même
bienheureux Albert, qu'il est facile à qui aime Marie de la
trouver et de faire l'heureuse expérience de sa bonté, de son
amour ! J'aime ceux qui m'aiment, dit-elle par la bouche du
Sage. Or, bien que cette très aimante Souveraine aime tous les
hommes comme ses enfants, elle sait néanmoins distinguer ceux
qui l'aiment davantage, assure saint Bernard, et elle a pour
eux des tendresses de choix. Selon l'Idiot, quand une âme est
assez heureuse pour brûler ainsi de l'amour de Marie, celle-ci
ne se contente pas de la chérir, elle s'abaisse jusqu'à la
servir : "
Trouver la Vierge Marie, dit-il, c'est trouver tous les biens,
car elle aime ceux qui l'aiment, elle sert même ceux qui la
servent ".
Il est question, dans les chroniques des Dominicains,
d'un frère nommé Léodat, qui avait coutume de se recommander
deux cents fois le jour à cette Mère de miséricorde. Quand il
fut sur le point de mourir, il vit tout à coup près de son lit
une reine d'une merveilleuse beauté, qui lui dit : " Léodat,
voulez-vous mourir, et venir auprès de mon Fils et de moi " ?
Il répondit : " Mais, qui êtes-vous " ? Et la sainte Vierge
reprit : " Je suis la Mère de miséricorde, que vous avez tant
de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre avec moi,
allons-nous-en en paradis ". Léodat mourut ce jour-là même ;
et, comme il y a tout lieu de le croire, il alla rejoindre
Marie au séjour des Élus.
O douce Marie ! heureux celui qui vous aime ! Le saint
frère Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, disait : " Si
j'aime Marie, je suis assuré de la persévérance, et
j'obtiendrai de Dieu tout ce que je désire ". Aussi, le pieux
jeune homme ne se lassait pas de renouveler sa résolution de
l'aimer ; il répétait souvent en lui-même : " Je veux aimer
Marie ! Je veux aimer Marie " !
Oh ! combien cette bonne Mère surpasse en amour tous
ses enfants ! Qu'ils l'aiment autant qu'ils le pourront,
jamais, dit saint Ignace martyr, jamais ils ne l'égaleront en
amour.
Qu'ils l'aiment dons autant qu'un saint Stanislas
Kostka, dont la tendresse pour ça céleste Mère était si vive,
qu'à l'entendre seulement parler d'elle, on se sentait le
désir de l'aimer aussi. Il avait imaginé des expressions
nouvelles et de nouveaux titres pour l'honorer. Il ne
commençait aucune action, sans s'être tourné d'abord vers une
image de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait
en son honneur l'office, le rosaire, ou d'autres oraisons,
c'était avec le sentiment, l'expression d'une personne qui
parlerait face à face avec Marie. Entendait-il chanter le
Salve Regina, l'embrasement de son coeur colorait son visage.
Comme il allait un jour visiter une image de la bienheureuse
Vierge avec un père de la Compagnie, celui-ci lui demanda s'il
aimait beaucoup Marie : " Mon père, répondit Stanislas, elle
est ma Mère ! Que puis-je vous dire de plus " ? Mais,
racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça
ces mots d'une voix si émue, d'un air si affectueux, d'un
coeur si pénétré, qu'on eût dit un ange qui parlait de l'amour
de Marie.
Qu'ils l'aiment autant qu'un bienheureux Herman Joseph,
qui l'appelait son Épouse d'amour, Marie ayant daigné
l'honorer du nom d'époux ; autant qu'un saint Philippe de
Néri, qui était tout consolé au seul souvenir de Marie, et qui
la nommait ses Délices ; autant qu'un saint Bonaventure, qui,
non content de lui donner les titres de Dame et de Mère, osait
encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection,
l'appeler son Coeur et son Âme.
Qu'ils l'aiment autant que ce grand serviteur de Marie,
saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère, qu'il
l'appelait la Ravisseuse des coeurs : Raptrix cordium ; et, ne
sachant comment lui dire l'amour dont il brûlait pour elle :
N'est-il pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur
?
Qu'ils l'appellent leur Amante, comme un saint
Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans
une dévote image ; là il épanchait son coeur dans de tendres
colloques avec sa Reine bien-aimée et, quand on lui demandait
où il se rendait ainsi tous les jours, il répondait qu'il
allait trouver son Amante.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint Louis de Gonzague,
qui brûlait continuellement d'un si grand amour envers Marie :
rien qu'à entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il
sentait son coeur tout embrasé ; la flamme qui le consumait
apparaissait à l'extérieur ; son visage en rougissait et
attirait tous les regards.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint François Solano, qui
semblait transporté d'une sainte folie d'amour envers Marie ;
parfois, devant une de ses images, on le voyait qui chantait
en s'accompagnant d'un instrument de musique ; il voulait,
disait-il, à l'imitation des amants du monde, donner une
sérénade à la Reine de son coeur.
Qu'ils l'aiment comme l'ont aimée un si grand nombre de
ses serviteurs, qui croyaient n'avoir jamais assez fait pour
lui témoigner leur amour. - Le père Jean de Trexo, de la
Compagnie de Jésus, prenait plaisir à s'appeler l'esclave de
Marie, et, en signe de sa servitude, il allait souvent la
visiter dans une de ses églises ; là, que faisait-il ? à peine
arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions de son
amour pour Marie qu'il arrosait l'église de ses larmes, puis
les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois
le pavé, tant il était touché de se trouver dans la maison de
sa chère Dame. - En récompense de sa dévotion, le père Jacques
Martinez, de la même Compagnie, se voyait porté au ciel par
les anges, en chacune des fêtes de Notre-Dame, pour être
témoin de la pompe avec laquelle elles s'y célèbrent. Il avait
coutume de dire : " Je voudrais avoir
tous les coeurs des anges et des saints, afin d'aimer Marie
comme ils l'aiment ; je voudrais avoir les vies de tous les
hommes, pour les consacrer toutes à l'amour de Marie ".
Qu'ils parviennent à l'aimer autant que l'aimait
Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il,
ne le réjouissait comme de savoir combien Marie est aimée de
Dieu. " Et, disait-il encore, si la grandeur de Marie pouvait
subir quelque amoindrissement, de bon coeur je souffrirais
n'importe quelle peine pour lui épargner cette perte ; il y a
plus si la gloire de Marie m'appartenait, j'y renoncerais en
sa faveur, sachant qu'elle en est incomparablement plus digne
que moi ".
Qu'à l'exemple d'Alphonse Rodriguez, ils désirent
donner leur vie en preuve de leur amour pour Marie ; qu'à
l'imitation du saint religieux François Binans, et de sainte
Radegonde, femme du roi Clotaire, ils aillent jusqu'à graver
avec une pointe de fer, l'aimable nom de Marie sur leur
poitrine, ou bien que, pour rendre l'empreinte plus profonde
et ineffaçable, ils l'y impriment à l'aide d'un fer rouge,
comme firent dans le transport de leur amour ses dévots
serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d'Espinosa, tous
deux de la Compagnie de Jésus.
En un mot, qu'ils fassent ou aspirent à faire tout ce
qui est possible à un amant désireux de témoigner son
affection à la personne qu'il aime : jamais ils n'arriveront à
aimer Marie autant qu'elle les aime. Gracieuse Souveraine,
s'écriait saint Pierre Damien, je sais qu'en fait d'amour vous
l'emportez sur tous ceux qui vous aiment ; vous nous aimez
d'un amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre
amour.
Le saint frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de
Jésus, se trouvant un jour au pied d'une image de Marie, se
sentit tellement embrasé d'amour pour cette glorieuse Vierge,
qu'il laissa échapper ces paroles : " Ma très aimable Mère, je
sais que vous m'aimez ; mais vous ne m'aimez pas autant que je
vous aime ".
Alors Marie, comme blessée en son amour, lui répondit
par cette image : " Que dis-tu, Alphonse ? que dis-tu ? oh !
combien mon amour pour toi l'emporte sur ton amour envers moi
! Il y a, sache-le bien, moins de distance entre le ciel et la
terre, qu'entre mon amour et le tien ".
Saint Bonaventure a donc raison de s'écrier : Heureux
ceux qui aiment et servent fidèlement cette tendre Mère ! -
Oui, heureux sont-ils, car cette Reine généreuse ne se laisse
jamais vaincre en amour par ses dévots serviteurs ; elle leur
rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs
passées, elle en ajoute toujours de nouvelles. Pareille en
cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur, elle leur paie au
double, en les comblant de grâces, l'amour qu'ils ont pour
elle.
J'emprunterai donc ici les amoureux accents de saint
Anselme et je m'écrierai comme lui : Que mon coeur brûle à
jamais, que mon âme se consume tout entière pour vous, ô
Jésus, mon bien-aimé Sauveur, et ma chère Mère Marie ! Et,
puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus et
Marie, faites, je vous en supplie par vos mérites, et non par
les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez.
O Dieu plein d'amour pour les hommes ! vous avez pu mourir
pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à qui vous la
demande, la grâce de vous aimer, vous et votre sainte Mère
?
Paragraphe 4
Marie est aussi la Mère des pécheurs
repentants.
La bienheureuse Vierge n'est pas seulement la Mère des
âmes justes et innocentes ; elle nourrit encore, comme elle le
déclarait un jour à sainte Brigitte, des sentiments tout
maternels pour les pécheurs, pour ceux du moins qui sont
résolus de s'amender. Oh ! quand un pécheur qui veut changer
de vie, vient se jeter aux pieds de Marie, il trouve cette
bonne et miséricordieuse Mère bien plus empressée à
l'embrasser et à le secourir, qu'aucune mère selon la chair !
C'est ce qu'écrivait saint Grégoire VII à la comtesse
Mathilde, qu'il engageait à en faire l'expérience.
Ainsi, quiconque aspire à la dignité d'enfant de cette
divine Mère, doit d'abord renoncer au péché ; après cela, il
peut espérer être bien reçu par elle. Sur ces paroles des
Proverbes, appliquées à la sainte Vierge : Ses enfants se sont
levés, Richard de Saint-Laurent observe que le mot
surrexerunt, " se sont levés ", est placé dans le texte avant
les mots filii ejus, " ses enfants ", pour faire entendre
qu'on ne peut être enfant de Marie, si l'on ne songe d'abord à
sortir du péché. En effet, suivant la remarque de saint Pierre
Chrysologue, ne pas marcher sur les traces de ses parents,
c'est les renier ; et celui qui dans sa conduite se met en
opposition avec Marie, celui-là déclare en fait qu'il ne veut
pas être son enfant. Marie est humble, Marie est pure, Marie
est charitable ; et lui, il est orgueilleux, il est adonné au
vice honteux, il hait son prochain : qu'est-ce à dire, sinon
qu'il répudie le nom d'enfant d'une Mère si sainte ? Les
enfants de Marie, reprend Richard, sont ceux qui tâchent de
lui ressembler par la pratique des vertus, spécialement de la
chasteté, de l'humilité, de la douceur, de la
charité.
De quel front donc prétendrait-il à la qualité d'enfant
de Marie, celui qui, par les désordres de sa vie, l'abreuve de
déplaisirs ? Un pécheur la priait un jour et lui disait : "
Montrez que vous êtes ma Mère. - Et toi, lui répondit-elle,
montre que tu es mon fils ". Un autre l'ayant invoquée en
l'appelant Mère de miséricorde, elle lui dit : " Vous autres,
pécheurs, quand vous voulez que je vous aide, vous m'appelez
Mère de miséricorde ; et puis vous ne cessez, par vos péchés,
de faire de moi une Mère de misère et de douleur ". Celui-là
est maudit de Dieu, qui afflige sa mère, dit le Sage. Quelle
est cette mère, demande Richard, sinon Marie ? Ainsi Dieu
maudit ceux qui par leur mauvaise vie, ou plutôt par leur
obstination, contristent le coeur de cette bonne
Mère.
J'ai dit : " par leur obstination " ; car, lorsqu'un
pécheur, quoique non encore dégagé des liens du péché,
s'efforce néanmoins d'en sortir, et réclame pour cela le
secours de Marie, cette tendre Mère ne laisse pas de lui venir
en aide et de le faire rentrer en grâce avec Dieu. C'est ce
que sainte Brigitte entendit un jour de la bouche de
Jésus-Christ même ; il disait, en s'adressant à sa mère : Vous
prêtez votre appui à quiconque désire sincèrement revenir à
Dieu, et jamais vous n'en laissez aucun sans consolation.
Ainsi, quand le pécheur s'obstine, Marie ne peut l'aimer, mais
si, se trouvant retenu dans l'esclavage de Satan par quelque
passion violente, il se recommande du moins à la sainte
Vierge, et la prie avec confiance et persévérance de le
retirer du péché, sans aucun doute cette bonne Mère étendra
vers lui sa main puissante, elle brisera ses chaînes, et le
remettra au chemin du salut.
C'est une hérésie condamnée par le Concile de Trente,
de prétendre que toutes les prières et toutes les oeuvres
faites en état de péché, sont des péchés. Bien que difforme,
faute d'être accompagnée de charité, la prière du pécheur ne
laisse pas de lui être utile, dit saint Bernard ; elle peut du
moins l'aider à sortir du péché. C'est que, selon
l'enseignement de saint Thomas, toute dénuée qu'elle est de
mérite, elle conserve néanmoins la vertu de lui attirer la
grâce du pardon ; parce que la force d'impétration de la
prière ne lui vient pas des mérites de celui qui prie, mais de
la bonté divine et des mérites et des promesses de
Jésus-Christ, qui nous a dit : Quiconque demande, reçoit. Il
n'en est pas autrement des prières adressées à la Mère de
Dieu. Si celui qui prie ne mérite pas d'être exaucé, il le
sera néanmoins, assure saint Anselme, en vertu des mérites de
Marie à qui il se recommande.
Aussi, saint Bernard exhorte tous les pécheurs à prier
Marie, et à le faire avec une grande confiance ; le pécheur
est, à la vérité, indigne d'être exaucé, dit-il ; mais les
mérites de Marie lui ont valu le privilège d'obtenir aux
pécheurs toutes les grâces qu'elle sollicite de Dieu en leur
faveur. Et en cela, ajoute le même saint, elle ne fait que
s'acquitter du devoir d'une bonne mère : une mère qui saurait
ses deux fils divisés par une haine mortelle, au point d'en
vouloir aux jours l'un de l'autre, pourrait-elle faire moins
que de mettre tout en oeuvre pour les réconcilier ? Eh bien !
Marie est la Mère de Jésus et la Mère de l'homme ; quand elle
voit l'homme devenu par le péché l'ennemi de Jésus-Christ,
elle ne sait le souffrir, elle ne néglige rien en vue de
rétablir la paix entre eux.
Tout ce que cette Reine très clémente exige du pécheur,
c'est qu'il se recommande à elle et ait l'intention de se
corriger. Lorsqu'elle voit à ses pieds un coupable qui implore
sa miséricorde, elle ne regarde pas aux péchés dont il est
chargé, mais seulement à l'intention qui l'amène : eût-il
commis tous les péchés du monde, pourvu qu'il vienne avec une
bonne volonté, cette tendre Mère ne dédaigne pas de
l'embrasser et de guérir toutes les plaies de son âme ; car,
non contente de porter le titre de Mère de miséricorde, elle
prétend l'être en effet, et elle se montre telle par l'amour
plein de tendresse qu'elle déploie en faveur des misérables.
Tout cela a été dit expressément à sainte Brigitte par la
bienheureuse Vierge elle-même en ces termes : " Si coupable
que soit un homme, s'il revient à moi touché d'un vrai
repentir, je suis prête à l'accueillir sans retard ; je ne
tiens nul compte du nombre de ses fautes, mais seulement des
dispositions qu'il apporte ; et je ne refuse point d'appliquer
le remède à ses plaies et de les guérir, car je m'appelle et
je suis réellement la Mère de miséricorde ".
Marie est la Mère des pécheurs qui veulent se
convertir, et elle ne peut s'empêcher de s'apitoyer sur eux ;
elle semble même ressentir, comme s'ils lui étaient propres,
les maux de ses pauvres enfants. Lorsque la Chananéenne vint
supplier le Sauveur de délivrer sa fille, elle lui dit : Ayez
pitié de moi, Seigneur, Fils de David, ma fille est
cruellement tourmentée par le démon. - Mais, puisque ce
n'était pas elle, mais sa fille, qui était en proie aux
tourments, ne semble-t-il pas qu'elle dût dire, non pas : "
Ayez pitié de moi ", mais plutôt : " Ayez pitié de ma fille "
? - Oh ! non, c'est avec raison qu'elle a dit : Ayez pitié de
moi, parce que toutes les douleurs des enfants sont ressenties
par leurs mères comme des douleurs personnelles. Et voilà
précisément, assure Richard de Saint-Laurent, comment parle
Marie, quand, invoquée par un pécheur, elle le recommande à
Dieu : Seigneur, semble-t-elle lui dire, cette pauvre âme en
état de péché est mon enfant ; ayez donc pitié, non pas tant
d'elle que de moi, qui suis sa Mère.
Ah ! plût à Dieu que tous les pécheurs eussent recours
à cette douce Mère ! assurément tous obtiendraient leur
pardon. - O Marie, s'écrie tout émerveillé saint Bonaventure,
vous recevez dans vos bras maternels le pécheur méprisé de
tout le monde, et vous ne l'abandonnez point que vous ne
l'ayez réconcilié avec son Juge. La pensée du saint est que
l'homme en état de péché est haï et repoussé de tous les êtres
; il n'est pas jusqu'aux créatures inanimées, le feu, l'air,
la terre, qui ne voulussent le châtier et venger sur lui
l'honneur de leur Maître outragé. Mais, si ce malheureux a
recours à Marie, le repoussera-t-elle ainsi ? Non, certes ;
s'il vient dans le but d'être aidé à se corriger, elle
l'embrasse avec la tendresse d'une mère, et fait si bien, par
sa puissante intercession, qu'elle le remet dans la grâce de
Dieu.
Le second livre des Rois nous a conservé le discours
adressé à David par la sage Thécuite : " Seigneur, j'avais
deux fils ; pour mon malheur, l'un des deux a tué l'autre, en
sorte que j'ai déjà perdu un de mes fils ; or, la justice veut
maintenant m'enlever mon autre fils, le seul qui me reste.
Ayez pitié d'une pauvre mère ; faites que je ne demeure pas
privée à la fois de mes deux enfants ". - David eut compassion
de cette mère affligée, et lui accorda la grâce du coupable.
Tel est, ce semble, le langage que Marie tient à Dieu, quand
elle le voit irrité contre un pécheur qui se recommande à elle
: Mon Dieu, lui dit-elle, j'avais deux fils, Jésus et l'homme
; l'homme a fait mourir mon Jésus sur la croix, et maintenant
votre justice veut condamner l'homme. Seigneur, mon Jésus est
mort, ayez compassion de moi ; et, si j'ai perdu l'un de mes
fils, ne me faites pas perdre encore l'autre.
Oh ! non, assurément, Dieu ne condamne pas les pécheurs
qui recourent à Marie, et pour qui elle intercède, puisqu'il
l'a lui-même chargée de veiller sur eux comme sur ses enfants.
Voici comment le dévot Lansperge fait parler le Seigneur :
J'ai recommandé les pécheurs à Marie en les lui donnant pour
enfants ; aussi, dans sa sollicitude à remplir son devoir de
Mère, elle ne veut pas qu'aucun de ceux qui lui sont confiés,
surtout s'ils l'invoquent, vienne à périr, et elle s'efforce,
autant qu'il est en elle, de me les ramener tous. Et Louis de
Blois dit à son tour : Il n'est pas de termes pour exprimer la
bonté, la miséricorde, la fidélité et la charité avec
lesquelles notre Mère Marie cherche à nous sauver, quand nous
l'appelons à notre secours. Prosternons-nous donc devant cette
bonne Mère, conclut saint Bernard, embrassons ses pieds
sacrés, et ne la quittons pas qu'elle ne nous ait bénis et
acceptés pour ses enfants. Et qui pourrait douter de sa
tendresse maternelle ? Quand même elle me donnerait la mort,
dit un auteur, je ne cesserais point d'espérer en elle ; plein
de cette confiance, je désire mourir auprès de son image, car,
si j'ai ce bonheur, je serai sauvé. Tout pécheur qui recourt à
cette Mère compatissante, doit donc lui dire aussi
:
Ma Souveraine et ma Mère, je suis un pécheur, je mérite
que vous me chassiez de votre présence et me traitiez en toute
rigueur de justice ; néanmoins, quand même vous me rebuteriez,
quand même vous me donneriez la mort, je ne cesserai jamais
d'avoir la confiance que vous me sauverez. Oui, je mets toute
ma confiance en vous ; que j'aie seulement le bonheur de
mourir devant une de vos images, en me recommandant à votre
miséricorde, et je suis assuré de ne point me perdre, mais
d'aller vous louer dans le ciel en compagnie de vos nombreux
serviteurs, qui, vous ayant invoquée au moment de la mort, ont
tous été sauvés par votre puissante
intercession. |